Chroniks Expresss #24

Vide-grenier des chroniques restées en rade… et pied levé sur les romans (à mon grand désespoir)

BD : Le Sentier des Reines (A. Pastor ; Ed. Casterman, 2015), Journées rouges et boulettes bleues (C. Mathieu & R. Benjamin & O. Perret ; Ed. La Boîte à bulles, 2016), Tritons, tome 1 (D. Tennapel ; Ed. Rue de Sèvres, 2016), Poussières (M. Ribaltchenko ; Ed. Akiléos, 2016)

Lectures (Albums/Romans) jeunesse : Trappeurs de rien (PoG & T. Priou ; Ed. de La Gouttière, 2016), Waluk (E. Ruiz & A. Mirallès ; Ed. Delcourt, 2011)

Romans : Coule la Seine (F. Vargas ; Ed. J’ai Lu, 2013), Joseph Anton (S. Rushdie ; Ed. Gallimard, 2013), On ne va pas se raconter d’histoire (D. Thomas ; Ed. Stock, 2014)

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Bandes dessinées

Le Sentier des Reines – Pastor © Casterman – 2015
Le Sentier des Reines – Pastor © Casterman – 2015

Savoie, 1920.

Peu de temps après leur retour de la guerre, les époux de Blanca et de Pauline décèdent, emportés par une avalanche. N’ayant que peu de perspectives qui s’offrent à elles, les deux femmes quittent leur petit village de Savoie. Elles espèrent vivre des revenus du colportage et emportent avec elles des fournitures de mercerie qu’elles vendront dans les villages traversés durant leur périple. Florentin, un jeune adolescent, les accompagne.

« On part ! Si nous restons, nous deviendrons folles. Tout, chaque jour, nous rappellera ce que nous avons perdu. »

Très vite, elles croisent la route d’Arpin, un ancien poilu qui prétend avoir fait la guerre avec le mari de Blanca. Il prétend aussi que Blanca est en possession d’une montre en or qu’il aurait dérobée avec le défunt à leur supérieur. L’homme souhaite récupérer sa part de butin. Obstiné et aveuglé par son objectif, il va les suivre dans l’unique but de les faire céder et de récupérer la montre.

Ayant découvert Anthony Pastor et ses univers envoutants via « Las Rosas » et « Castilla Drive », cet huis-clos en haute montagne me tentait pour plusieurs raisons. D’une part, le fait de pouvoir une nouvelle fois profiter de la maîtrise de l’auteur à soutenir une ambiance tendue au couteau et son habilité à tisser des intrigues improbables. Le fait de voir évoluer un homme torturé par le traumatisme de la guerre, d’observer la manière dont il lutte avec la folie et de l’imaginer s’éprendre de ces deux femmes m’intriguait.

Pour autant, si l’histoire démarre rapidement et que les personnages principaux trouvent facilement leur place sur l’échiquier narratif, cet ouvrage s’essouffle rapidement. Page après pages, les rebondissements consistent principalement à décrire l’obstination de ces femmes à fuir leurs vies passées, à aller toujours plus en avant et à mettre de la distance avec cet homme inquiétant qui les poursuit. De son côté, l’ancien soldat met tout en œuvre pour les rattraper ou du moins, ne pas les perdre de vue. On apprend peu de choses sur les éléments de leur parcours et la psyché des personnages est dévoilée au compte-goutte. Des quatre protagonistes, on remarque rapidement des traits de caractères propres à chacun et ces personnalités sont peu enclines à évoluer. Blanca est une femme charismatique et déterminée qui prend dès la première page le rôle de leader. Pauline est plus effacée et manque de confiance ; ses doutes seront systématiquement et rapidement balayés par Blanca. Florentin est un adolescent insipide sans aucune ambition et pour compléter le tableau, Arpin-le poilu apparaît tantôt comme un pervers, tantôt comme un sadique, des traits de caractère invariablement accompagnés d’une psychorigidité inquiétante.

Aussi étonnant soit-il, j’ai apprécié le ton des dialogues et cette tension permanente dans les échanges. Le personnage de Blanca en impose, dommage qu’elle ait si peu de marge de manœuvre dans le récit. Quant aux dessins, on est face à un harmonieux mélange entre des œuvres réalisées par Bilal dans les années 1990 et du Gibrat. Le rendu n’est pas désagréable même si les mouvements des personnages manquent souvent de fluidité.

Peu de plaisir à lire cet album qui a manqué de me tomber des mains à plusieurs reprises. L’auteur est en train d’écrire la suite de ce récit… et autant dire que je ne suis pas tentée pour jouer les prolongations !

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Journées rouges et boulettes bleues - Mathieu - Benjamin - Perret © La Boîte à bulles – 2016
Journées rouges et boulettes bleues – Mathieu – Benjamin – Perret © La Boîte à bulles – 2016

« Après des heures de bouchons interminables, François et ses enfants – Kévin, l’adolescent renfermé et Baptiste, garçonnet plein d’amour pour sa chienne Hermione – arrivent enfin à Ramiolles, village du Sud de la France où ce père de famille passait jadis ses vacances.

Un village tout ce qu’il y a de plus paisible pour des vacances qui auraient dû l’être tout autant. Mais la tranquillité de leur séjour se trouve rapidement compromise. Non seulement par les rapports houleux entre François et sa femme, Clara, qui tarde à les rejoindre, mais surtout par la soudaine disparition d’Hermione » (synopsis éditeur).

Ça fleure bon l’été dans cet album au ton léger. L’histoire décrit un homme en train de se débattre en ses problèmes de couples et sa place de père face à ses enfants. Pris dans une course contre la montre et confronté à la pression que lui impose son cadet – très affecté par la disparition du chien -, cet homme a des difficultés pour fixer ses priorités : faire passer les enfants en premier ou profiter des vacances et s’accorder un peu de temps pour souffler ? Ecrit à quatre mains, le scénario de Rémy Benjamin et Cyprien Mathieu nous ménage d’un bout à l’autre de l’album. On a beau voir cet homme en proie au doute et totalement dépassé par la situation, on ne peut ressentir qu’une faible empathie pour lui. Je déplore que malgré la présence de tout un panel d’ingrédients (suspens, remise en question, souvenirs d’enfance, retrouvailles…), le récit ne décolle pas davantage et se contente de survoler son sujet. Et si finalement l’intrigue principale (celle de la disparition du chien) est solutionnée, on ne peut pas dire que les autres sujets abordés soient réellement traités.

Au dessin, le travail d’Olivier Perret est très agréable. Un bel emploi de l’aquarelle et un coup de crayon qui va à l’essentiel. Les personnages sont expressifs, les décors soignés ; l’ensemble plait au regard.

Une histoire qui manque de panache. Dommage qu’elle se soit contentée de si peu.

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Tritons, tome 1 – Tennapel © Rue de Sèvres – 2016
Tritons, tome 1 – Tennapel © Rue de Sèvres – 2016

Dans un monde anthropomorphe, une communauté de tritons est menacée par leurs ennemis légendaires : les Lezzarks. Ces derniers font une intrusion brutale dans la petite ville de Tritonville et ne laissent derrière eux aucun survivant. Aucun ? A l’exception de Zak, jeune triton aux pattes atrophiées, et de Urck, triton adulte qui a la charge de protéger le village. Mais Urck va être capturé par les hommes de main du Seigneur Serpent. Malheureusement le triton ne fera pas le point contre les puissants sortilèges destinés à l’asservir…

Doug Tennapel, que je connaissais pour avoir réalisé « Ghostopolis » (qui m’avait permis de réaliser une chronique à quatre mains avec Jérôme) semble affectionner les univers imaginaires. Cette fois-ci, nulle question de voyage au pays des morts, mais une incursion dans un monde anthropomorphe qui peut se prévaloir d’avoir connu les mêmes revers que l’Humanité : une civilisation en pleine croissance, une période bénie de son histoire puis l’incontournable désaccord qui mène à une lutte des classes, puis à un soulèvement populaire, puis à une guerre… puis à une scission en deux camps, l’un reniant et tenant d’oublier l’autre… et réciproquement.

Le lecteur ne manquera pas de voir les nombreux parallèles et métaphores qui renvoie à l’histoire de l’humanité. Comme on le voit couramment, l’emploi de l’anthropomorphisme permet de faire passer la pilule en douceur et de profiter d’une aventure divertissante. L’histoire met pourtant du temps à trouver son rythme et la majeure partie du scénario avance par à-coups. J’ai longtemps cru que je n’arriverai pas au bout de ce tome et pourtant, la mayonnaise a fini par prendre… dans le dernier quart de l’album. Zak – le jeune héros – est lancé dans une quête incensée. S’il la mène à bien, il survivra… s’il fait un faux-pas… Résultat : je reste dubitative quant à la manière dont Doug Tennapel a traité sa fiction mais ayant finalement investi les personnages, il me tarde de connaître la suite de leurs aventures.

J’ai repéré cet album grâce à la chronique de Stephie (je vous invite à la lire, elle est bien plus enthousiaste que moi). Je m’étais inscrite au concours qu’elle organisait autour de ce titre et il aura finalement fallu attendre que mon nom soit tiré au sort pour que je le découvre. Merci !

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Poussières – Ribaltchenko © Akiléos – 2016
Poussières – Ribaltchenko © Akiléos – 2016

« Oberonn, « la forêt qui recouvrait tout », court un terrible danger. Les Airinites, étrange peuple technoïde, absorbent ses forces vitales et tuent par centaines les esprits chargés de la protéger.

Guidés par le vieux chevalier Torsechêne, Uzogi et Mimeya, enfants de l’Esprit-Mère, vont se lancer dans une quête essentielle pour la survie de leur planète. » (synopsis éditeur).

Un album qui pique tout d’abord parce que le dessin de Michaël Ribaltchenko (« Le Royaume suspendu« ) oblige à s’arrêter régulièrement pour comprendre de quoi il en retourne. Le dessin n’est pas facile, il manque souvent de lisibilité d’autant que la majeure partie des personnages appartiennent à une espèce extraterrestre et que, peu habituée à leurs expressions de visage, il n’est parfois pas facile de bien appréhender la nature des tensions qui peuvent exister entre les personnages.

Un ouvrage qui pique également parce que le récit s’éparpille souvent dans la nature et nous fait crouler sous tout un tas de nouveaux repères (un monde qu’on ne connait pas, des noms d’aliments et de boissons qu’on découvre, des codes sociaux qui nous sont étrangers, l’histoire de cette espèce qui se dévoile au compte-goutte). Tous ces éléments convergent vers le lecteur et le freine dans sa lecture.

« Poussières » est une fable écolo qui fait écho à l’actualité et à certains problèmes de société.

« – La terre ! Pourquoi ne l’avez-vous pas défendue ?! Cette terre qui vous nourrissait, qui vous faisait… vivre !
– Parce qu’elle n’a à offrir qu’une vie de dur labeur… »

« Poussières » est une quête. Comme dans la majeure partie des quêtes, l’histoire confronte un héros à l’inconnu et le force à repousser la frontière de ses propres limites, à remuer ces certitudes, à examiner ses incertitudes. Comme dans la majeure partie des quêtes, le héros se fait de nouveaux amis. Ici en l’occurrence, il s’agit de deux enfants-esprits conçus par la Terre-Mère, une entité abstraite dont nous découvrons la fonction au bout de quelques pages. L’un de ces personnages se fait contaminer par un mal mystérieux, se matérialisant par des traces noires qui vont progressivement recouvrir son corps… est-ce un clin d’œil à « Princesse Mononoké » ?

Je sors perplexe de cet album, pas certaine d’avoir perçu tous les tenants et les aboutissants, pas certaine d’avoir compris la morale de l’histoire… pas certaine d’en garder un quelconque souvenir.

Les premières planches sur Digibidi.

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Lectures Jeunesse

 

Trappeur de rien - Pog - Priou © Editions de la Gouttière - 2016
Trappeur de rien – Pog – Priou © Editions de la Gouttière – 2016

Trois amis se retrouvent pour passer un week-end en forêt. Ils ont prévu de chasser ensemble le caribou. Georgie et Mike se réjouissent de la présence de Croquette dont les talents de chasseur ne sont plus à prouver. Passée la première soirée conviviale au chalet de montagne, voilà nos compères qui sortent pour leur première journée de chasse. Toutes les conditions sont réunies pour que la journée soit réussie : la météo est clémente, les sujets de discussions ne manquent pas, le pique-nique est parfait… et au détour d’une colline, un caribou broute paisiblement.

« Caribou » est le premier tome d’une nouvelle série jeunesse scénarisée par PoG (qui a réalisé « Blanche » paru aux Editions Margot en 2013). Le ton est convivial et amusant, le lecteur profite pleinement du plaisir de chacun des trois personnages à passer ce week-end ensemble. L’humour est au rendez-vous et leur complicité fait plaisir à voir. Les illustrations de Thomas Priou sont épurées et permet au petit lecteur de suivre les pérégrinations du trio. La rondeur du dessin, les couleurs ludiques, les tics et traits de caractères qui font la personnalité de chacun, le fait d’évoluer dans un monde anthropomorphe sont autant invitent à la lecture.

Pour autant, nous nous sommes ennuyés. Les transitions entre les différentes scènes sont absentes et donnent l’impression que l’histoire saute en permanence du coq à l’âne. Excepté quelques sujets de discussions, le récit s’appuie beaucoup trop sur la complicité qui existe entre les trois lascars et il est difficile de trouver sa place dans ce groupe, laissant le lecteur spectateur. Le dénouement tombe de manière abrupte, ne prend pas le temps de mettre des mots sur ce qui vient de se passer… laissant au parent qui accompagne la lecture le soin de décoder ce qui vient de se passer.

Mon fils s’est finalement demandé ce que l’histoire voulait raconter même s’il a compris l’essentiel. Depuis la lecture, l’album est sagement rangé sur les étagères et je doute qu’il en ressorte un jour.

La fiche de présentation de l’album sur le site de l’éditeur.

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Waluk – Ruiz – Mirallès © Guy Delcourt productions – 2011
Waluk – Ruiz – Mirallès © Guy Delcourt productions – 2011

« Ourson abandonné par sa mère, Waluk se sent l’être le plus malheureux de la Terre entière. Tiraillé par la faim et le manque de sommeil, il ne peut survivre tout seul. Jusqu’à sa rencontre avec Esquimo, un vieil ours qui le prend en affection. Commence alors l’apprentissage du jeune Waluk pour une vie où l’insouciance n’a pas sa place. Il doit surtout se défier d’un adversaire redoutable : l’homme. » (synopsis éditeur).

Première lecture de cet album avec Kentin [mon cadet] qui n’avait encore jamais lu cet album. Convaincu par les arguments dithyrambiques de son grand frère à l’égard de cet ouvrage, Kentin a donc demandé à le découvrir avec moi. Puis lui aussi, l’accroche avec le duo d’ours (Waluk et Esquimo) fut immédiate.

Me concernant, ce fut un réel plaisir de relire cet album dont je gardais un bon souvenir. Fable écologique, le récit sensibilise le jeune lecteur à la question de l’environnement et au comportement irrespectueux de l’Homme à l’égard de la nature et des animaux. Emilio Ruiz a trouvé le ton adéquat pour aborder le sujet de façon critique sans que l’enfant soit mis à mal. On accès ici au regard de l’animal sur les humains et la manière dont ces derniers malmènent la planète et la modèlent au gré de leurs « caprices ». La talentueuse Ana Mirallès a réalisé les illustrations… ça vaut le coup d’œil.

PictoOKPictoOKJ’avais repéré ce titre au moment de sa sortie et la chronique de Choco m’avait convaincue de l’intérêt de cet album. J’avais « loupé le coche » après la première lecture et, à force de tarder à poser mon ressenti par écrit, j’avais fini par renoncer à l’envie de rédiger une chronique. Il n’est jamais trop tard pour bien faire et même si celle-ci est succincte, je souhaitais profiter de l’occasion pour inviter les lecteurs qui ne connaîtraient pas « Waluk » à le découvrir.

Public : à partir de 6-7 ans.

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Romans

 

Coule la Seine – Vargas © J’ai Lu – 2013
Coule la Seine – Vargas © J’ai Lu – 2013

Trois nouvelles mettant en scène le Commissaire Jean-Baptiste Adamsberg. Trois enquêtes en bord de Seine. La Seine comme un personnage à part entière, témoin d’un crime ou confidente des pensées d’Adamsberg qui vient la côtoyer pour laisser naviguer ses pensées, « brasser des nuages » comme on peut lire souvent dans les romans de Fred Vargas.

« Salut et Liberté », la première nouvelle, se place en pleine chaleur estivale. Un jour d’été, Vasco, un clochard, s’installe sur le banc qui se trouve en face du Commissariat. Dès 9 heures il est à son poste. Toute la journée durant, il observe le ballet des flics qui entrent et sortent du bâtiment. De temps en temps, l’un d’entre eux vient discuter un peu avant de retourner vaquer à ses occupations. A mesure que les semaines passent, Vasco s’installe. Il amène tout d’abord un porte-manteau puis un lampadaire qu’il pose à côté du banc et qu’il emporte chaque soir lorsqu’il rentre chez lui. Au cours de cette période, Adamsberg reçoit les lettres anonymes d’un homme. Ce dernier prétend avoir assassiné une femme et annonce déjà son prochain meurtre. Le temps presse et certains éléments contenus dans les lettres laissent à penser que le tueur rode non loin du Commissariat. Il va solliciter Vasco pour tenter d’obtenir son aide.

« La Nuit des brutes » est une courte enquête policière sur le meurtre d’une femme pendant la nuit de Noël. Le corps de cette dernière a été retrouvé flottant dans la Seine plusieurs jours après le crime. Mais les poches de la défunte sont vides. Rien ne permet de l’identifier. L’enquête piétine. Un étrange énergumène va attirer l’attention d’Adamsberg sur un détail des plus inattendus.

« Cinq francs pièce » où Pi, le clochard assiste au meurtre d’une dame de la haute-société. Au fil des jours, le vagabond sympathise avec le commissaire. Cette nouvelle a été adaptée en bande dessinée par Edmond Baudoin. J’avais parlé de cet album – intitulé « Le Marchand d’éponges » – dans cet article.

PictoOKUn ouvrage agréable pour ceux qui apprécient la série mettant en scène le Commissaire Adamsberg. Ces trois nouvelles sont aussi un bon moyen de se sensibiliser à cet univers polar même si on déplore l’absence de la quasi-totalité des personnages secondaires. Seul Danglard, l’adjoint d’Adamsberg, apparaît dans « Salut et Liberté ».

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Joseph Anton – Rushdie © Gallimard – 2013
Joseph Anton – Rushdie © Gallimard – 2013

« Le 14 février 1989, Salman Rushdie reçut un coup de téléphone d’un journaliste de la BBC : il avait été « condamné à mort » par l’Ayatollah Khomeiny. Son crime ? Avoir écrit Les versets sataniques, un roman accusé d’être « contre l’Islam, le Prophète et le Coran ».

Ainsi commence l’extraordinaire histoire d’un écrivain devenu clandestin, changeant sans cesse de domicile, sous la protection permanente d’une équipe policière. Comment continuer à écrire ? À vivre des histoires d’amour ? Vaincre le désespoir et se relever ? Salman Rushdie nous raconte l’une des plus importantes batailles de notre époque pour la liberté d’expression. Il dit les réalités parfois cruelles, parfois comiques, d’un quotidien sous surveillance armée, retrace ses combats pour gagner le soutien des gouvernements, réfléchit au rôle de l’écriture dans nos sociétés » (synopsis éditeur).

Très factuel ce roman autobiographique qui relate les onze années de « cavale » de Salman Rushdie. Protégé par les services de police anglais, contraint à vivre caché pour se soustraite à la menace de mort qui plane sur lui depuis que l’Ayatollah Khomeiny a prononcé une Fatwa suite à la publication des « Versets sataniques ». Publiée le 14 février 1989, la fatwa oblige Rusdhie à vivre dans la clandestinité. Plusieurs mois après, à la demande des services de police qui assurent sa protection, il choisit le pseudonyme de « Joseph Anton » pour pouvoir effectuer un minimum de transactions (retrait bancaire, location d’un logement, réservation d’un hôtel…).

Ce retrait forcé de la société le terrasse. Au début, il n’y croit pas, il ne parvient pas à se rendre compte ce que cela implique. Il a également peur pour la vie de son fils. Puis, la sidération et la peur pour sa propre intégrité physique prennent le dessus avant de laisser la place à la révolte, qui sera chassée à son tour par la résignation. Peu à peu, il apprend à trouver de nouveaux repères, à accepter l’inacceptable mais jamais au grand jamais il ne cessera de dénoncer cette atteinte à la liberté d’expression. Et jamais au grand jamais il n’a centré le combat sur sa propre personne, cherchant en permanence à sensibiliser les autres acteurs du monde littéraire au diktat que tente d’imposer l’islam.

Ce témoignage s’ouvre sur une longue présentation de son parcours. Il se présente, parle de ses origines indiennes, de ses parents, de son choix d’orientation universitaire qui l’amène à s’installer seul en Angleterre. Durant cette période d’études, il se cherche, a du mal tisser des relations amicales, se questionne en permanence sur ses racines. C’est à cette époque qu’il commence à s’intéresser à la religion dans le cadre d’une recherche qu’il effectue pour mener à bien un mémoire qu’il doit rendre. Il trouve-là, sans le savoir, des éléments qui enrichiront sa réflexion et aboutiront – quelques années plus tard – à la finalisation des « Versets sataniques ». Le récit s’oriente ensuite naturellement vers les prémices de la rédaction des « Versets sataniques », comment le roman a lentement pris forme dans son esprit puis sur le papier. On comprend l’importance que revêt pour Rusdhie le fait de définir clairement la notion d’identité ; il ancre de plus en plus sa vie en Angleterre mais voyage régulièrement en Inde, pays de ses racines.

Il décroche plusieurs boulots alimentaires qui lui permettent de subvenir à ses besoins et de consacrer son temps libre à l’écriture. Ses premiers romans sont publiés tandis que l’ébauche des « Versets sataniques » continue de croupir dans un coin de son bureau, à végéter dans un coin de sa tête. Il se décrit comme un homme qui reste à l’affût de tout, des autres comme de l’actualité ; il emmagasine des détails qui lui permettront de donner forme au roman qui a fait éclater le scandale.

Il s’arrête longuement, et à plusieurs reprises, sur son rapport à l’écriture et la place de la littérature dans la société. Il partage également de nombreuses réflexions sur le rapport que l’individu nourrit avec la société comme avec la religion, sur l’amitié, sur le processus de création.

Il décrit ces onze années de clandestinité, critique la position du gouvernement à son égard, l’amitié qu’il a nouée avec certains agents chargés de sa protection. Les premières années sont marquées par la lente acceptation de la peur, l’aboulie, le manque d’inspiration, les multiples points de chute où il vivra temporairement… Puis, le retour à une forme de stabilité est permis via l’achat d’une maison londonienne, la reprise de quelques meeting littéraires en Angleterre comme à l’étranger.

PictomouiUn roman intéressant mais contenant de nombreuses tergiversations. Régulièrement, je posais « Joseph Anton » pour ne pas me lasser de ce long témoignage descriptif. Bien que j’appréhendais de perdre le fil de ma lecture, j’ai pu constater à chaque fois la facilité avec laquelle on reprend la lecture de cet ouvrage. L’auteur cherche peut-être trop souvent à se justifier…

Extraits :

« C’était bien là le sens de cette phrase qui revenait sans cesse. Il l’a fait exprès. Evidemment, il l’a fait exprès. Comment pourrait-on écrire le quart d’un million de mots par accident ? Le problème c’était, comme aurait dit Bill Clinton, ce qu’on pensait qu’il avait fait. L’étrange vérité, c’est qu’après deux romans directement liés à l’histoire publique du sous-continent indien, il considérait son nouveau livre comme beaucoup plus personnel, comme une exploration intérieure, sa première tentative de créer un monde issu de son expérience d’émigré et de sa métamorphose. Pour lui, c’était le moins politique de ses trois livres » (Les Versets sataniques)

« Au moment où un livre quitte le bureau de son auteur, il se transforme. Même avant que quiconque ne l’ait lu, avant que les yeux d’une autre personne que son créateur n’aient pu découvrir la moindre phrase, il est devenu irrémédiablement différent. Il est devenu un livre qui peut être lu et qui n’a plus besoin de son auteur. Il a acquis, d’une certaine façon, son libre arbitre. Il va entamer son voyage dans le monde et l’auteur n’y peut plus rien. Lui-même, quand il en revoit des passages, les lit différemment à présent que d’autres peuvent le lire. Les phrases semblent différentes. Le livre a pris son essor dans le monde et le monde peut le réinventer. » (Les Versets sataniques)

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On ne va pas se raconter d’histoire – Thomas © Stock – 2014
On ne va pas se raconter d’histoire – Thomas © Stock – 2014

« David Thomas est le maître de l’instantané : ces microfictions sont autant de moments où la vie se fige, tragique ou drôle, au fond qu’importe.

Une femme n’a de plaisir que si on lui lit du Pierre Louÿs pendant l’amour. Deux anciens amants se rencontrent sur le trottoir et n’ont plus rien à se dire.

Un homme vole un rôti comme un acte de folie. Absurde ? Tendre ? Décalé ? Ce livre d’un charme fou ne pourra que séduire celles et ceux qui préfèrent le rire aux larmes. » (synopsis éditeur).

Ce recueil de nouvelles nous permet de côtoyer, le temps de quelques pages, des hommes et de femmes qui se livrent à l’aide d’une émotion, d’un ressenti. En réaction à une situation donnée, à un problème qu’ils rencontrent, à un sentiment qui les touchent… le flot de leur réflexion et de leur pensée nous est livré. Humour, dérision, cynisme… tout est bon et la plume de David thomas se charge de donner du sens à ce qui ne l’est pas.

PictoOKUn cadeau de Noukette que j’ai savouré pleinement. Les chroniques de Noukette, Moka et Jérôme… je vous invite à les lire, mon billet n’est qu’un prétexte à partager le plaisir que ce roman leur a procuré.

Une mise en bouche ? :

« J’ai parfois la sensation de m’accrocher de plus en plus aux aspérités de la vie. Ce qui me paraissait comme insignifiant il y a trente ans me semble aujourd’hui lourd, laborieux. Jeune, je n’étais curieux de rien mais je m’émerveillais de tout ; aujourd’hui, si je suis curieux de bien des choses, pratiquement plus rien ne m’étonne. J’étais prêt à tout croire alors que, maintenant, je ne crois presque en plus rien. Avant, j’avais peu d’opinions mais je parlais beaucoup et, paradoxalement, depuis quelques années, plus mon jugement s’aiguise, se précise, s’affine, et plus je me tais. A vingt ans, je voulais rencontrer le plus d’hommes possible, à présent je n’aspire plus qu’à voir la terre et ses paysages » (On ne vas pas se raconter d’histoires).

Auteur : Mo'

Chroniques BD sur https://chezmo.wordpress.com/

11 réflexions sur « Chroniks Expresss #24 »

  1. ahahaha il était là ! merci ma poulette 😉 il me tarde de lire David Thomas 😉
    et suis toute d’accord pour Waluk (kdo de chouchou pour mes petits) qu’on a drôlement aimé et partagé avec les copains ❤
    je t'embrasse à bloooooooooooooooc !

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    1. Waluk est un très bel album. Mon grand l’avait adoré et maintenant qu’il est en âge, mon lutin le découvre à son tour et… se régale. Trop bien !
      Des bises copine !! ^_^ ❤

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  2. Waluk est une merveille… et tellement contente que tu aies découvert David-chou !!! ❤
    (PS : tu oses appeler ça des chroniques express ? Tss… :-p )

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    1. Des chroniques express oui, je maintiens 😛
      Je n’avais pas relu Waluk depuis sa sortie et je me suis laissée surprendre comme à la première lecture 🙂 Très bel album (qui aurait certainement mérité un article à lui tout seul mais voilà… ^^)
      Et David-chou comme tu dis, je vais m’en régaler au mois d’aout (vacances vacances enfin ! ^^)

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    1. A vrai dire, j’avais totalement oublié le contenu des articles que les lecteurs avaient partagés sur ce roman. Alors je suis partie vierge de toute attente et de tout préjugé. Et c’était parfait 🙂
      Après, les chapitres sont de qualité variable. Il y a des personnages avec lesquels j’ai bien accroché et d’autres qui m’ont paru sans intérêt pour autant, ils se sont vite faits oublier et n’ont pas grignoté le plaisir procuré par la lecture

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