Chroniks Expresss #25

Vide-grenier des chroniques restées en rade en juillet… et trop de projets par ailleurs pour pouvoir assurer des publications régulières sur le blog 😦

BD : Dolorès (B. Loth ; Ed. La Boîte à bulles, 2016)

Romans : Comme on respire (J. Benameur ; Ed. Thierry Magnier, 2011), Pedro Páramo (J. Rulfo ; Ed. Gallimard, 2009), Millenium #4 (D. Lagercrantz ; Ed. Actes Sud, 2015), Mort aux cons (C. Aderhold ; Ed. Le Livre de Poche, 2009)

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Bandes dessinées

 

Loth © La Boîte à bulles – 2016
Loth © La Boîte à bulles – 2016

France, de nos jours.

Marie vit en maison de retraite. Son quotidien s’égrène tranquillement, baigné de rituels, de soins infirmiers, des visites de sa fille cadette. Marie perd la tête ; elle se réfugie de plus en plus dans ses souvenirs d’enfance, au point de ne plus parler en français. Elle communique désormais naturellement en espagnol, sa langue maternelle, et précise à qui veut l’entendre qu’elle se prénomme Dolorès.

Ses proches s’étonnent. Personne ne lui connaissait des origines hispaniques d’ailleurs, personne ne connait réellement son passé. Sa fille décide donc de profiter de ses vacances pour partir sur les traces de sa mère. Direction l’Espagne.

Seul aux commandes de cet album, Bruno Loth (« Apprenti« , « Ouvrier« …) revient ici sur un thème et une période chers à son cœur : la guerre civile espagnole. Après Ermo, jeune orphelin qui était au cœur des événements, place à Dolorès. D’ailleurs, Dolorès est née grâce à Ermo… un travail de commande expliqué par Bruno Loth en postface : « il y a deux ans, Santiago Mendieta, de la revue Gibraltar, connaissant mon travail sur la guerre d’Espagne avec la série Ermo, me demandait de réaliser une BD en dix pages maximum sur le thème de la mémoire à vif ». L’impulsion de donner vie à Dolorès était prise, l’auteur a eu ensuite l’envie d’étoffer ce personnage ainsi que le thème. Cette dernière incarne la peur du peuple espagnol face au régime franquiste et le choix, résigné, que beaucoup ont fait de fuir l’Espagne et cette guerre fratricide. Le scénario se resserrera finalement sur la plage d’Alicante (1939).

Dans les deux œuvres, on perçoit bien cette volonté de témoigner des événements qui ont animés l’Espagne au milieu du siècle dernier, comme un devoir de mémoire. Contrairement à « Ermo« , je n’ai pas ressenti le même degré d’affection et d’attentions de l’auteur à l’égard de ses personnages. Dans « Dolorès« , les personnages principaux (Dolorès et sa fille cadette) semblent n’être qu’un prétexte, une « porte d’entrée », qui permet d’aborder le fond du sujet.

La particularité de cet album est de pouvoir aborder dans un même temps deux périodes différentes : celle de l’Espagne franquiste et celle a fait notre actualité beaucoup plus récemment puisque Bruno Loth suit les élections qui ont eu lieu en 2015 (l’auteur ne manque pas de faire des liens entre les deux périodes).

PictomouiConcrètement, nous voilà face à un album didactique qui relève plus du documentaire ; peut-être d’ailleurs aurait-il été plus pertinent d’assumer pleinement cette part de recherches documentaires et de rester dans la pure veine du documentaire. On ressent un peu trop le fait que les personnages sont instrumentalisés aux besoins de la narration, même s’il y a ici une part d’autofiction : « Au printemps 2015, je partais vivre quelques mois à Madrid pour écrire la suite du récit de Dolorès. Je me suis glissé dans la peau de mon personnage, la fille de Dolorès, et ce sont mes propres rencontres qui ont structuré et enrichi le scénario initial » (Bruno Loth).

Pour le reste, la présence de ces deux femmes a l’avantage de permettre d’imbriquer une destinée individuelle à la grande Histoire de l’humanité.

La chronique de Sabine que vous trouverez dans son « Petit carré jaune ».

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Romans

 

Benameur © Editions Thierry Magnier – 2011
Benameur © Editions Thierry Magnier – 2011

« L’absurdité de la guerre condamne les enfants au silence. Quand l’écriture et les livres peuvent sauver de biens des maux…

Un livre-manifeste sur le pouvoir des mots. Ce texte de Jeanne Benameur a été spécialement écrit pour la quatrième édition d’Un Livre une Rose, organisée par les libraires à l’occasion de la Saint-Jordi » (synopsis éditeur).

Court recueil de nouvelles ou plutôt de réflexions, comme pour fixer une émotion éphémère, fragile, volatile. Comme pour poser une pensée volatile qui risquerait de s’échapper contre notre volonté. Et pourtant, les mots posés ici décrivent des situations douloureuses, des vies malmenées, des parcours chaotiques. Des enfants livrés à la tourmente de la guerre, de l’exil, de l’exode.

Mais ces mots, semblables à de courtes lettres que l’on adresserait à quiconque souhaiterait les lire, ne se concentrent pas uniquement sur des enfants victimes de la guerre. Au cœur des propos, il est aussi question de la souffrance que portent en eux tous ceux qui ont été confrontés à cette situation. A cette souffrance, une autre souffrance jaillit, issue de l’impuissance de pouvoir les aider pleinement. L’interlocuteur à qui l’on se confie peut certes prêter une oreille attentive, mais il n’a souvent d’autre choix que de constater son propre échec à panser correctement leurs plaies, soigner totalement le traumatisme qu’ils ont vécu. L’interlocuteur qui reçoit ces témoignages n’a souvent d’autre alternative que celle d’écouter attentivement et permettre à cet enfant traumatisé, à cet adulte apeuré, de mettre des mots sur l’horreur et de s’apaiser grâce à la parole.

Ces nouvelles contiennent également d’autres réflexions comme l’importance de la langue maternelle dans l’identité de chacun, la liberté, l’importance de défendre certaines valeurs morales/sociales. Jeanne Benameur nous propose enfin une très belle réflexion sur l’identité de l’écrivain et son rapport à l’écriture.

PictoOKUn recueil de trente-six pages que je vous invite à découvrir.

La chronique de Jérôme et celle de Noukette (madame… je te remercie une nouvelle fois d’avoir glissé cet ouvrage entre mes mains 😉 )

Extraits :

« Je voudrais retourner la main de ces enfants, leur dire que là, dans leurs paumes ouvertes, toutes ces lignes, c’est leur vie.
La vie.
Je voudrais leur dire la bonne aventure. Comme on retournerait le mauvais sort.
Secouer la paume offerte.
Embrasser.
Souffler.
Mon baiser n’effacera rien. Je sais.
Mais juste pour que l’air passe entre la main et ce qu’elle a formé, répété. Pour que le souffle ait une chance.
Refermer un à un les doigts là-dessus.
Je serre les poings. » (Comme on respire)

« Je marche au bord de la mer. Je respire.
J’ai besoin du large.
Une phrase s’est formée dans ma gorge à moi. « Je respire le même air que ceux qui font souffrir ».
J’ai horreur alors.
Je ne veux pas partager le même air.
C’est cela être humain ? C’est vivre en sachant cela ?
Je ferme les yeux. Je respire l’océan.
Ce qui entre dans mes poumons ne m’appartient pas.
Inspirons.
Expirons.
Nous sommes semblables.
Et c’est parfois terrifiant.
Qu’on ne me parle plus jamais de sécurité.
Il me faudrait une sécurité ontologique. Le trou de cette sécurité-là est un abîme et personne ne distribue de numéro. (Comme on respire)

 

Rulfo © Gallimard – 2009
Rulfo © Gallimard – 2009

La mère de Juan Preciado vient de mourir. Sur son lit de mort, elle a fait promettre à son fils de se rendre à Comala pour rencontrer son père. Elle lui a fait promettre puis s’est éteinte. Au début, Juan Preciado ne pensait pas se rendre à Comala. Il ne sait dire ce qui l’a fait changer d’avis.

Quoi qu’il en soit, le voilà qui arpente les ruelles du hameau de Comala. Il a choisi de rester même s’il a très tôt appris que Pedro Páramo – son père – est décédé. Pourtant ici, il n’y a en apparence nulle âme qui vive. Le silence pèse sur chaque pierre du petit village. Et pas un souffle de vent pour épargner le voyageur de la chaleur qui règne ici. Pourtant, au détour d’une ruelle, il n’est pas rare d’entendre des voix et après quelques instants à errer au milieu des habitations, des habitants apparaissent dans l’encadrement d’une porte. Les conversations s’engagent, le gîte est offert. Juan Preciado est épuisé de son voyage. Il s’enfonce rapidement dans un sommeil agité où il côtoie les indigènes, les vivants et les morts. Et à son réveil, le doute l’assaille. En ce lieu, les défunts semblent habiter les lieux.

Troublant roman de Ruan Rulfo, auteur mexicain. On erre entre rêve et réalité, un rêve éveillé où l’on ne parvient pas à faire la part des choses. On se perd entre passé et présent, on se demande si l’on n’a pas atteint le royaume des morts, on se questionne au sujet de notre guide – le narrateur -, est-il vivant ?

On avance pourtant dans la lecture de ce récit chorale où les narrateurs se succèdent, quelle que soit leur génération, ils racontent la vie de Pedro Páramo, celle de ses ancêtres et celle de ses descendants. Celle des habitants du hameau est intiment mêlée à la vie de cette famille.

Ici, la vie n’est que misère. Commérages et superstitions alimentent les conversations. Rien que du factuels dans cet univers rural étriqué où les voix des morts se mêlent à celles des vivants. Les anecdotes du passé sont le quotidien de ceux qui vivent encore, comme si l’histoire des uns et des autres ne pouvait pas être oubliée. Comme si les défunts bousculaient les vivants pour que ces derniers ne les oublient pas.

PictoOKUn roman atypique et complexe. J’ai eu du mal à rester concentrée durant la lecture. Rien n’est à sa place ici, présent en passé sont si enchevêtrés qu’il en est parfois difficile de savoir où se situer. Alors on lâche prise… et c’est peut-être ainsi que l’on profite le mieux de ce texte. Les bouts de récits patchwork s’organisent et l’ensemble prend tout son sens.

La chronique de Jérôme et la présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur.

Extrait :

« Il n’y avait pas d’air. J’ai dû boire celui qui sortait de ma bouche en l’arrêtant de mes mains avant qu’il ne s’échappe. Je le sentais aller et venir, de plus en plus imperceptible, jusqu’au moment où il est devenu si ténu qu’il m’a glissé entre les doigts à jamais. Je dis bien à jamais. » (Pedro Páramo)

 

Lagercrantz © Actes Sud – 2015
Lagercrantz © Actes Sud – 2015

« La revue Millénium a changé de propriétaires. Ses détracteurs accusent Mikael Blomkvist d’être un has-been et il envisage de changer de métier.

Tard un soir, Blomkvist reçoit un appel du professeur Frans Balder, un chercheur de pointe dans le domaine de l’IA, l’intelligence artificielle. Balder affirme détenir des informations sensibles qui concernent le service de renseignement des Etats-Unis. Il a également été en contact avec une jeune femme, une hackeuse hors du commun qui ressemble à s’y méprendre à une personne que le journaliste ne connaît que trop bien.

Mikael Blomkvist espère tenir enfin le scoop dont Millénium et lui ont tant besoin. Quant à Lisbeth Salander, fidèle à ses habitudes, elle suit son propre agenda. » (synopsis éditeur)

C’est avec plaisir que j’ai retrouvé les personnages de Lisbeth Salander et de Mikael Blomkvist. Nous les avions laissé quelque peu épuisés suite aux événements du troisième opus de la série (le procès de Lisbeth, la traque menée contre elle par son père). L’intrigue de ce quatrième tome se déroule dix ans après. Dix ans durant lesquels Lisbeth a imposé le silence et qu’elle refuse tout contact avec Blomkvist, dix ans durant lesquels elle continue à traquer les malfrats sur internet, dix ans durant lesquels Blomkvist fait son métier de journaliste… mais avec moins de passion.

J’avais apprécié les trois intrigues de Stieg Larsson (« Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes », « La Fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette » et « La Reine dans le palais des courants d’air ») et me rappelle encore lorsque, prise dans la lecture, j’étais incapable d’interrompre ma lecture malgré l’heure très tardive. Il y avait une réelle accroche, une fascination à l’égard de cet univers, une peur palpable quant à ce qui pouvait arriver à Lisbeth ou Mikael. Malheureusement, Stieg Larsson n’est plus et les quelques manuscrits qu’il a laissés (Larsson envisageait 10 tomes pour « Millénium » et avait déjà construit le squelette des 7 tomes non encore édités), structurant déjà la forme et le contenu des autres tomes de la série. Sa mort prématurée crée la discorde auprès de ses ayants-droits, sa femme s’opposant notamment à ce que la série se poursuive tandis que le frère et le père de Larsson y sont plutôt favorables. Ces derniers auront le dernier mot… et l’éditeur charge David Lagercrantz d’écrire ce quatrième roman.

Alors oui, lorsque j’ai appris la sortie de « Ce qui ne me tue pas » l’année dernière, je me doutais bien que j’y viendrais tôt ou tard. La curiosité de savoir comment Lisbeth et Mikael ont cheminé, l’envie de retrouver ces angoisses saisissantes induites par la lecture, le plaisir de côtoyer des personnages devenus familiers… Malheureusement, David Lagercrantz n’a pas le talent de son prédécesseur… il n’a certainement pas la même vision de l’univers et de ses protagonistes. Il arrive-là en terrain conquis. Il a certes accepté de relever un challenge ambitieux qui en aurait effarouché plus d’un et il a eu le courage de s’y attaquer. Mais même armé des notes de Stieg Larsson, son écriture ne lui arrive pas à la cheville. A l’instar des trois romans précédents, un temps est nécessaire pour installer tous les pions de l’échiquier narratif. En cela, je n’ai aucun grief à apporter. Il faut accepter d’attendre avant que la tension ne monte et ne vous assaille.

PictomouiLe bât blesse car la mayonnaise ne prend jamais réellement. Il y a bien quelques passages durant lesquels le rythme s’emballe, il y a bien quelques moments où l’on craint le pire pour les personnages. Mais Lagercrantz ne tient pas la longueur, bichonne ses personnages et rassure le lecteur prématurément. Dommage, car la force de « Millénium » tenait à cela, à cette particularité qui soudait le livre à nos mains, nous faisait vibrer et angoisser. Ce quatrième tome est plus lisse et s’il fouille correctement les différents sujets abordés (piratage informatique, espionnage industriel), il délaisse le travail de fond qui permettait à l’ambiance de nous saisir. bien qu’il soit bourré de références et de clins d’œil aux trois précédents tomes, bien qu’il permette à l’univers de peaufiner sa construction et qu’il apporte des informations que nous ne détenions pas sur le passé des personnages principaux (essentiellement concernant Lisbeth)… la claque escomptée n’est pas au rendez-vous et c’est bien dommage.

 

Aderhold © Le Livre de Poche – 2009
Aderhold © Le Livre de Poche – 2009

Tout commença par un soir de canicule. Alors que le chat du voisin avait profité – tout comme à son habitude – de passer d’un balcon à l’autre pour s’introduire dans le salon du narrateur, il passa la soirée en sa compagnie mais eu l’idée saugrenue de le griffer. Ni une ni deux, le narrateur, avant d’aller se coucher, balance le greffier par la fenêtre… un saut de cinq étages dont le félin ne se remit pas. Constatant l’émergence d’un élan de solidarité suite à la mort du chat, l’homme décide d’étendre ses méfaits à l’ensemble du quartier afin, en tout cas l’espère-t-il, de rallumer la flamme d’entraide qui peut rapprocher ses congénères. Le voilà parti pour zigouiller les animaux domestiques des alentours. Chats, chiens… il développe une technique imparable mais s’était sans compter l’intervention de Suzanne, sa concierge qui, sans le vouloir, sapait tous ses efforts. La pauvre ne se remit pas d’une soirée partagée autour d’un porto avec notre homme. Dès lors, il récidive avec le voisin envahissant d’un couple d’amis, un chauffard repéré sur l’autoroute ou bien encore l’agent qui traite son dossier à la Sécurité Sociale. Dans cette période, il prend la décision de saisir la moindre occasion de débarrasser la société des cons qui croiseront sa route. Récit farfelu et entrainant d’un tueur en série.

Pour son premier roman publié en 2009, Carl Aderhold ose le tout pour le tout en nous faisant profiter du récit initiatique d’un homme en tous points ordinaires qui va opter pour la voie du crime afin de soulager la société des empêcheurs de tourner en rond. Individu à l’humour vaseux, fonctionnaire qui expédie les administrés pour garantir sa tranquillité, clochard haineux et hargneux… c’est généralement le fruit du hasard qui met le personnage principal sur le chemin de ces personnes… personnes qui passeront de vie à trépas dans les jours qui suivent.

Le scénario nous amène à découvrir ses cas de conscience, ses motivations, son modus operandi… et explique comment il parvient progressivement à trouver un certain apaisement, un certain équilibre, grâce à ses crimes. C’est drôle, totalement insensé mais on ne peut s’empêcher de suivre ses pérégrinations qui offre une certaine bonne humeur et prête à sourire.

« Ce qu’il y a de particulièrement frappant dans l’histoire, c’est que non seulement les cons ont tout loisir de sévir, mais qu’en plus ils prennent la pose et, sans doute portés par le souffle du cataclysme qu’ils sont en train de déclencher, se croient obligés de délivrer quelques mots historiques. Je dirais même que l’on reconnaît à coup sûr un con en histoire à la fortune de son trait ».

Pourtant, le récit manque de souffle et rapidement, l’impression qu’il traîne en longueur se fait ressentir. Les morts de [supposés] cons s’enchaînent à une vitesse vertigineuse et je me suis demandée à plusieurs reprises où l’auteur souhaitait nous emmener. Interrompre la lecture devient rapidement une nécessité et j’ai longtemps hésité à refermer définitivement l’ouvrage sans aller jusqu’à son dénouement. Puis, soudainement, à la mort d’un personnage secondaire essentiel dans l’univers, le rythme de la narration change et l’accroche se fait. Le narrateur prend alors de la consistance et sa quête [l’éradication des cons] se structure. Les meurtres se poursuivent mais cette fois, la raison de chaque acte étant mieux définie, on plussoie. Dommage que ce virage dans l’écriture ne se produise qu’à la moitié du roman… je pense en effet de Carl Aderhold a perdu plus d’un lecteur dans ses tergiversations et que les quelques deux cent premières pages auraient mérité un écrémage.

PictomouiMalheureusement, un manque de constance ramènera le lecteur à son impression première puisque dans la cinquantaine de pages qui le sépare du dénouement, le récit reproduit les mêmes erreurs : il y a des longueurs, le narrateur tue à tour de bras comme s’il utilisait le moindre prétexte pour assouvir ses penchants meurtriers.

Le postulat de départ de ce premier roman de Carl Aderhold est sympathique. Pire même, il promet à son lecteur de passer un moment bien plus jubilatoire qu’il est réellement en mesure d’apporter. Le plaisir ressenti lors de cette lecture est un peu trop timide.

Extrait :

« A chacune de nos rencontres, notre liste conative s’allongeait. « Combien de cons trouvés aujourd’hui ? » me lançait Marie à la fin de nos séances.
Nous commençâmes par ceux qui nous paraissaient évidents, enfin sur lesquels il n’y avait pas de débat entre nous : le con joint, qui partage la vie de l’autre et finit par la lui pourrir (en moi-même, je pensai à Christine) ; le con sanguin, qui s’énerve pour un oui ou pour un nom, surtout quand son interlocuteur est une femme ou fait trois têtes de moins que lui, car le con sanguin est rarement un con fort (là, je plaçais le con de la tour) ; le con fraternel, celui qui vous prend en affection et ne vous lâche plus, gentil mais très vite pesant, toujours prêt à se mettre à pleurer et à vous reprocher votre dureté ; le con disciple, celui qui a trouvé un maître, ne jure que par lui, et n’a de cesse de vous convertir à sa vision (« Fabienne » me dis-je) ; assez proche de ce dernier, le con vecteur, qui propage la rumeur et les on-dit (entraient dans cette catégorie Suzanne et les concierges, mais aussi les cafetiers et parfois les journalistes) ; le con citoyen, qui trie ses ordures avec méticulosité, allant jusqu’à laver ses pots de yaourt avant de les jeter ; le con tracté, très répandu celui-là, qui s’énerve au volant (mon chauffard sur l’autoroute en était l’archétype) ; le con casseur, qui sévit surtout dans les banlieues (le fils du beauf au chien et sa bande)… Nous décidâmes aussi, pour plus de justesse et par souci de précision, d’instaurer des degrés dans leur niveau de connerie, entre celui dont c’est héréditaire (le con génital), celui qui reste égal à lui-même quelle que soit la situation (le con stable), celui qui bat tous les records (le con sidérant ou le con primé), et enfin celui qui est guéri (le con vaincu), ce dont moi-même je doutais fortement, pensant qu’il s’agissait d’un trait de caractère tandis que Marie, lui, penchait pour un état pouvant se révéler passager.
Puis il y avait ceux sur lesquels nous n’étions pas d’accord, en fait surtout lui car, dans mon envie de la plus large palette possible, je me montrais beaucoup plus conciliant. Il me contesta ainsi les cons courant le dimanche ou les cons tondant leur pelouse. » (Mort aux cons)

Ermo (Loth)

1936. L’Espagne est à feu et à sang. La guerre civile bat son plein, aucune région n’est épargnée. Le récit commence au début de l’été 1936. Ermo, un gosse des rues, orphelin, rêve de pouvoir aller assister au spectacle d’une troupe d’artistes ambulants. Lorsque ceux-ci replie leur chapiteau, Ermo profite de leur inattention pour se glisser dans leur camion. Il sera démarqué quelques kilomètres plus loin lorsque la petite troupe fait halte dans un village du sud de l’Espagne. Les autorités locales, corrompues jusqu’à la moelle, font régner la terreur sur la bourgade. Au même titre que les autres opposants, la troupe de saltimbanques est emprisonnées. Dans la cellule, Ermo fait la connaissance de ses compagnons d’infortune : Sidi le magicien et la femme Fina, leur fille Anabela et Juan l’homme de main et ami du couple.

Par un heureux effet du hasard, Ermo parvient à libérer ses amis ainsi que les autres prisonniers et à déjouer un coup d’état. Au vu des événements nationaux et de leurs finances désastreuses, ils décident ensuite de se rendre à Barcelone, espérant ainsi se refaire une santé. Ils arrivent à Barcelone le 18 juillet 1936 et vont assister au coup d’état fomenté par les militaires. Une date qui aura des conséquences catastrophiques sur le devenir de l’Espagne. La Révolution espagnole éclate.

La mayonnaise met un peu de temps avant de prendre. Le premier tome installe les personnages, c’est un peu long. Qu’Ermo choisisse de se glisser clandestinement dans le camion des gitans est une décision que l’on accepte facilement, la suite des événements de ce premier volet peut parfois surprendre. Ainsi, le groupe ne va jamais remettre en question sa présence ou la manière qu’il a eue de s’associer à eux. Rapidement, sans qu’on perçoive les tenants et les aboutissants de leur rencontre, il va être intégré à cette famille et considéré comme un de ses membres à part entière. Pour le reste, rien ne vient saccader l’enchaînement des événements de ce tome de lancement de série. Pourtant, si je n’avais pas eu les cinq autres tomes à portée de main, je reconnais que jamais je n’aurais poursuivi ma lecture. En effet, la juxtaposition d’éléments narratifs qui n’ont a priori rien en commun m’a donné l’impression que le puzzle que Bruno Loth (Apprenti, Ouvrier) mettait en place n’avait pas de liant. Le côté surnaturel apporté par le don d’Ermo de pouvoir dialoguer avec ses parents défunts, le fait que ce couple disparu interagisse sur la réalité sans qu’il n’y ait aucune limite à leurs « pouvoirs » ; il suffit qu’Ermo le souhaite et ces deux bons génies parentaux exécutent ses volontés. Et puis il y a le reste et notamment la manière dont le contexte socio-politique est traité : on est là dans une petite bourgade à la botte de militaires corrompus et avec qui collabore un curé de paroisse qui est un pur cliché de tout ce que l’Eglise peut avoir de malsain : tout est bon pourvu que la situation tourne à son avantage et ses tendances pédophiles semblent n’attendre qu’une occasion pour s’épanouir.

Mais lorsqu’on referme « Le Magicien » (tome 1), l’ensemble des ingrédients sont jetés dans la marmite : un contexte social historique, du fantastique, de l’aventure, des sentiments (amour et amitié), du suspens. Curieuse du sort qui est réservé aux protagonistes de cette histoire, j’ai donc poursuivi la découverte de la série « Ermo ». Dès le second tome, le ton change, l’intrigue est plus construite, plus posée, moins éclatée et les liens se renforcent entre cette petite famille recomposée et les protagonistes qu’ils vont rencontrer durant leur périple. Après les déboires du premier tome, ils reprennent la route et se dirigent cette fois vers Barcelone. Dès lors, l’auteur enrichit son scénario de nombreux événements historiques et brosse le portrait d’une Espagne en ébullition.

Ça ne peut pas tomber plus mal… les militaires complotent, l’Eglise menace, la Droite attise, avec ça le monde du spectacle est au plus mal

En choisissant de faire arriver ses personnages à la veille du jour où la Révolution civile, Bruno Loth s’est ouvert la possibilité d’évoquer cette période tumultueuse et de pouvoir évoquer les événements via l’aventure fictive d’un jeune gosse des rues. Ainsi, le lecteur va avoir la possibilité de revivre la chronologie des faits, revoir les tenants et les aboutissants de ce conflit social. D’ailleurs, le lecteur n’est pas totalement neutre dans l’histoire puisque les héros qu’il va suivre vont rapidement afficher leurs opinions politiques et se ranger du côté des mouvements anarchistes. Pour autant, nous ne sommes pas pris à la gorge durant la lecture. Le regard posé sur les faits reste objectif et le scénariste prend le temps de peser ses mots, de mettre en lumière certains hommes qui ont influencés le cours des choses… qui ont forcé « la masse » à penser autrement, à s’exprimer, à revendiquer des droits et leur attachement à la liberté.

« Ermo », c’est une histoire en 6 tomes qui revient sur les événements espagnols qui ont eu lieu de juillet à novembre 1936. Le récit nous emmène jusqu’à ce jour fatidique où Buenaventura Durruti est allé tutoyer les étoiles.

Aucune armée ne peut soumettre tout un peuple uni et déterminé. Construisons des barricades et coupons la route à ceux qui veulent abattre la liberté ! Vive la Révolution !

Outre les courants anarchistes, il sera également question de la Phalange espagnole, de l’installation de Franco au pouvoir, des alliances entre Franco – le Duce – Hitler, de mouvements nationaux, l’exode des espagnols fuyants le régime et la terreur, les communautés libertaires, le mouvement des Mujeres libres, le communisme… Les noms de personnalités se mêlent à ceux des anonymes : José Antonio Primo de Rivera, le docker Lecha, Vladimir Antonov-Ovseenko, Federica Montseny, Lluís Companys i Jover, Lucia Sanchez Saornil

Campañeras, depuis notre plus jeune âge, nous souffrons en regardant les visages prématurément vieillis des femmes du peuple. La cause de ces rides profondes est un triple esclavage : celui de la tradition, celui de l’ignorance et celui de la reproduction. Poing levé, femmes d’Ibérie par les routes ardentes affirmant des promesses de vie défions la tradition

(début de discours prononcé en 1936 par Lucia Sanchez Saornil repris dans le quatrième tome d’Ermo.

PictoOKTrès beau récit que nous livre Bruno Loth. Le personnage du jeune Ermo pourrait symboliser l’esprit de la Révolution espagnole de 1936 ou bien encore le passage de l’enfance à l’âge adulte… et la perte d’innocence inhérente à cette maturité grandissante.

Mais au-delà de la simple fiction, « Ermo » est un très beau support pour aborder la guerre civile espagnole. A la fois didactique et ludique, voilà une série qui permettra aux plus jeunes de se sensibiliser aux événements qui ont agités l’Espagne en 1936… Pour les autres, cela permettra de conserver la mémoire des événements.

A mettre en toutes les mains (public : ado, adultes).

A lire : cet article dédié à l’auteur sur littexpress.

Extraits :

« De Catalogne, par centaines, les Espagnols fuyant les atrocités de la guerre, franchissent les Pyrénées, emportant avec eux quelques bagages, restes dérisoires de leur vie passée (Ermo, tome 3)

« – C’est que je m’y connais en maquereau ! Le nôtre, il a eu le choix : partir au front ou une balle entre les deux oreilles…
– Dommage. Il a choisi de partir au front…
– Les Mujeres libres aident les prostituées à se sortir du milieu et à trouver un boulot. On leur apprend à lire. Trop de femmes sont analphabètes, le changement passera par l’éducation.
– Y’en a marre de subir le machisme. Nous voulons l’égalité des salaires, le droit au divorce, à l’avortement… et la liberté sexuelle, nom de Dieu ! » (Ermo, tome 4).

Ermo

Série terminée en 6 tomes

Editeur : Libre d’Images

Dessinateur / Scénariste : Bruno LOTH

Dépôt légal : avril 2006 à 2013

Bulles bulles bulles…

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Ermo, série en 6 tomes – Loth © Libre d’Images – 2006 à 2013

Ouvrier, Mémoires sous l’Occupation – Volume 2 (Loth)

Loth © La boîte à Bulles – 2014
Loth © La boîte à Bulles – 2014

Septembre 1942.

Le conflit armé est cette fois bien engagé. Il pèse sur le quotidien des français. Bordeaux est désormais en zone occupée. Pourtant, Jacques Loth décide de revenir s’installer dans la capitale girondine et retrouve son poste aux chantiers maritimes du port.

La vie suit son cours teintée de quelques désagréments, notamment les contrôles d’identité sporadiques et intempestifs des allemands. C’est aussi la BBC que les français tentent de capter pour entendre les messages radiodiffusés de De Gaulle. Et puis, il y a l’inquiétant départ de Marceau pour les camps de travail allemands.

Contre toutes attentes et malgré la difficulté de la situation due à l’occupation allemande, Jacques fait la connaissance de Jacqueline

Ce nouvel album vient clore le diptyque « Ouvrier, Mémoires sous l’Occupation » débuté en 2012. Ce récit retrace une période de la vie de Jacques Loth, le père de Bruno Loth. Et puisque Jacques a toujours eu un penchant pour la bande dessinée, permettant ainsi à son fils de piocher allègrement dans la bibliothèque familiale dès sa tendre enfance, le medium pour porter ce témoignage semblait tout trouvé. En 2006, Bruno Loth démarre Ermo, du nom du héros de la série, un enfant des rues de 12 ans qui veut voyager et fait la rencontre d’un magicien ambulant. L’intrigue débute en 1936. Ils vont ainsi traverser toute l’Espagne alors même que la guerre civile éclate. En six tomes, Ermo relate donc ces années de dictature et la fuite désespérée de nombreux espagnols venus se réfugier en France, dans l’espoir que la situation s’apaise.

Bruno Loth a d’autres publications à son actif mais il faudra attendre janvier 2011 pour que le premier pan de cette série témoignage soit publié à la Boîte à Bulles. Ainsi Apprenti – Mémoires d’avant-guerre introduit le témoignage de Jacques dès lors qu’il entre dans la vie active et prend son poste au chantier naval. Apprenti relate les événements, via l’expérience de Jacques, qui se sont produits de 1936 à 1937 ; un tome suffit pour parcourir ces deux années. Ouvrier – Mémoires sous l’Occupation se présente quant à lui sous la forme d’un diptyque. La Guerre éclate en Europe, projetant la France dans un conflit armé, allant jusqu’à la diviser en deux zones. Bordeaux accuse le coup et apprend à vivre au quotidien en présence des troupes de l’Axe. Le premier volume se consacrait aux années 1938-1941, exposant à la fois le quotidien du personnage et le contexte social dans lequel il est amené à évoluer. Il se poursuit avec ce second volume qui va de 1942 à la fin du conflit.

Le récit se focalise essentiellement sur Jacques sans omettre de relater, bien que cela soit ponctuel, les événements qui ont marqué la mémoire des bordelais (tel le pilonnage de Bordeaux par les Alliés en mai 1943). Pour autant, bien que le lecteur ait conscience que l’intrigue se déroule en pleine période d’Occupation, cela n’est pas omniprésent dans le discours du personnage principal. On comprend que les habitudes de vie sont changées, que le sentiment d’insécurité est omniprésent mais il n’écrase pas le scénario. Un scénario d’ailleurs qui virevolte grâce à l’idylle entre Jacques et Jacqueline. C’est d’ailleurs assez surprenant de pouvoir découvrir comment la vie s’organise en temps de guerre en s’appuyant sur une rencontre amoureuse et le sentiment d’euphorie qui en découle.

Quant au dessin, il profite d’une grande lisibilité. A l’instar des deux premiers tomes, des tons gris-bleu prédominent sur les planches. Pourtant, porté par les effusions de la rencontre, des touches colorées s’immiscent au cœur des pages et apportent davantage de luminosité à cet univers. Ces pointes de couleurs tonifient l’ambiance graphique de l’album et permettent à la fois de donner du rythme à la lecture et d’accroître l’intérêt du lecteur.

PictoOKL’expérience de vie ici partagée permet de découvrir un quotidien en période de guerre. Loin des clichés habituels, des décors de désolation, la tension est ici sous-tendue par l’aspect psychologique du conflit, une pression latente due à la présence des troupes de l’Axe, de l’impuissance des civils à interférer sur la situation.

Ouvrier

Mémoires sous l’Occupation, deuxième partie

Diptyque terminé

Editeur : La Boîte à Bulles

Collection : Hors champ

Dessinateur / Scénariste : Bruno LOTH

Dépôt légal : novembre 2014

ISBN : 978-2-84953-145-7

Bulles bulles bulles…

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Ouvrier, Mémoires sous l’Occupation Vol.2 – Loth © La boîte à Bulles – 2014

Ouvrier – Mémoires sous l’occupation, volume 1 (Loth)

Ouvrier - Mémoires sous l'occupation, volume 1
Loth © La Boîte à bulles – 2012

« 1938. Jacques est ouvrier aux chantiers maritimes de Bordeaux Bacalan. Progressivement, avec la guerre en perspective, il voit le monde du travail se durcir et les acquis du Front Populaire être remis en cause… Il continue toutefois à profiter pleinement de ses moments de liberté,  avec son frère Marceau, et ses copains des Auberges de Jeunesse. Mais bientôt, avec la grande débâcle de juin 1940, Bordeaux va apprendre à marcher au pas de l’oie » (Quatrième de couverture).

Initialement, il n’était pas prévu que Bruno Loth donne une suite à Apprenti. En effet, l’auteur explique dans les bonus d’album que son père ne souhaitait pas revenir sur cette période de sa vie puisqu’il y associe nombre de souvenirs douloureux. Pourtant, le travail de mémoire qu’avait réalisé Jacques Loth à l’occasion d’Apprenti semble l’avoir préparé à cette idée de partager d’autres souvenirs.

Ainsi, ce premier tome d’Ouvrier prolonge le témoignage du père de Bruno Loth. Nous l’avions laissé apprenti en 1937 sur le chantier naval de Bordeaux, nous le retrouvons ouvrier un an plus dans ce nouveau volume contenant ses Mémoires.

Le rythme de l’album prend le temps de s’installer. Ainsi, il lui faudra une trentaine de pages pour traiter la période couvrant l’année 1938 et une bonne partie de 1939 (jusqu’au 1er septembre 1939). Cette période précédant celle de l’occupation se consacre au quotidien de Jacques Loth, partagé entre le chantier naval, les moments passés en famille ou avec des amis. Ce long passage préalable à l’occupation souffre d’une narration saccadée : le fait est que le lecteur doit de nouveau s’habituer aux différents protagonistes en même temps qu’il prend connaissance de nouveaux souvenirs de l’époque (week-end en famille, congés payés employés à partir en vacances avec des amis…). On passe rarement plus de trois pages sur un même événement. Cette longue introduction pourrait se résumer à une succession d’anecdotes où l’on profite de nouveau de l’ambiance (nostalgique et joyeuse) que j’avais décrite sur Apprenti ; on pourra notamment profiter de quelques passages chantants (un chant scout, Maurice Chevalier…) auxquels Bruno Loth n’aura plus recourt par la suite.

Sitôt passée la date du 1er septembre 1940, le ton du récit devient plus grave mais la lecture gagne en fluidité. Deux raisons à cela : 1/ des temps consacré aux transitions entre les épisodes font leur apparition et 2/ le laps de temps qui s’écoule entre chaque souvenir est moins conséquent. Le récit trouve ainsi sa cohérence et son unité. Il nous conduit ensuite sans difficulté jusqu’à la fin de ce premier volet consacré aux « Mémoires sous l’occupation ».

Tout comme dans Apprenti, on est une nouvelle fois sensible à la présence d’éléments historiques connus (comme l’exode des Espagnols sous Franco, l’arrivée des troupes allemandes en juin 1940…) et sur lesquels l’auteur prend le temps de s’arrêter si besoin. Ces éléments narratifs aident le lecteur à se situer dans le temps. Enfin, l’ambiance graphique fait la part belle aux gris/blancs avec quelques touches récurrentes de couleurs pour rehausser et tonifier l’ensemble (mais une nouvelle fois, j’avais déjà décrit ce style graphique à l’occasion de mon précédent article).

PictoOKUne lecture agréable qui manque cependant d’un peu de force. Rien ici ne nous permet d’investir les personnages, on reste sur une certaine linéarité dans les émotions que l’on peut ressentir. Intéressée par le témoignage en lui-même, je me suis contentée de rester spectatrice des événements.

Ouvrier – Mémoires sous l’occupation

Volume 1

Diptyque terminé

Éditeur : La Boîte à bulles

Collection : Hors Champ

Dessinateur / Scénariste : Bruno LOTH

Dépôt légal : septembre 2012

ISBN : 978-2-84953-151-8

Bulles bulles bulles…

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Ouvrier, volume 1 – Loth © La Boîte à bulles – 2012

Apprenti (Loth)

Apprenti
Loth © La Boîte à bulles – 2011

Bruno Loth revient sur la jeunesse de son père, Jacques Loth, au moment où ce dernier entre dans la vie active en signant son contrat d’apprentissage au Chantier naval de Bordeaux. Nous sommes en 1936.

Cette découverte d’auteur a été permise suite à un échange avec Vincent Henri lors de mon passage au Festival BD de Colomiers.

En 2006, Bruno Loth monte sa propre maison d’édition (Libre d’images) pour publier le premier tome d’Ermo. Cette série en cours (elle compte actuellement 4 tomes) parle de l’expérience de son beau-père, enfant soldat pendant la guerre d’Espagne. Avec Apprenti, on retrouve la même veine graphique où dominent des gris/blancs sur lesquels Bruno Loth appose une colorisation originale. Avec parcimonie, l’auteur injecte de douces touches de bleus, de marrons et d’ocres qui mettent en relief des éléments du décors (cheveux, besaces, foulards…), donnant à l’ensemble un côté très attractif et vivant.

La trame narrative est plus classique que le graphisme. Nous explorons chronologiquement les souvenirs de son père à partir du premier jour de son apprentissage aux chantiers. J’y ai découvert un univers masculin que je connaissais peu mais l’ambiance de travail des chantiers n’a pas été sans me rappeler les anecdotes de mon propre grand-père lorsqu’il travaillait à l’usine : l’esprit de  camaraderie, le respect pour l’ouvrier qui connaît son travail, un monde d’hommes où il ne faut pas faillir.

A travers ce récit biographique, Bruno Loth nous offre un regard sur la condition d’ouvrier dans une France de l’entre-deux guerres qui retrouve espoir et prospérité. S’il parvient à retranscrire la pénibilité du travail, il nous fait aussi ressentir l’allégresse de ces ouvriers dont le travail est valorisé par les avancées sociales de 1936. On assiste à la liesse populaire suite à l’annonce du vote des congés payés (bientôt la semaine de 40 heures) et au rôle grandissant des syndicats. On ressent la joie des bonheurs simples, comme le pique-nique dominical au bord de l’eau, l’insouciance des moments passés entre copains, la confiance dans les études et les diplômes qui assurent un avenir, les fins de journées conviviales autour d’un petit verre… l’alcool n’est pas encore un « problème de santé publique » (bien qu’il soit une béquille pour certains, les aidant à supporter ces conditions de travail difficiles).

Des références régulières à des œuvres d’artistes de l’époque contribuent à recréer l’atmosphère de cette période : des poèmes de Paul Eluard, des airs de Charles Trênet… Enfin, on ressent le regard respectueux de Bruno Loth à l’égard de son père. En bonus, il nous propose esquisses, photos et documents de famille dans une partie intitulée « Carnet d’Apprenti », ce qui conclut en beauté ce voyage dans le temps et nous laisse un petit gout amer en bouche : l’impression que les choses étaient plus simples avant, que l’espoir était permis et que l’on savait apprécier la saveur de chaque moment.

Cette lecture est ma première participation au Challenge Histoire de Jelydragon

PictoOKAu final, je n’ai jamais eu l’occasion de lire un album qui aborde cette période de l’histoire française. Une lecture intéressante, agréable et originale.

Un entretien avec Bruno Loth sur littexpress.

Apprenti

« Mémoires d’avant-guerre »

One Shot

Éditeur : La Boîte à bulles

Collection : Hors Champ

Dessinateur / Scénariste : Bruno LOTH

Dépôt légal : janvier 2011

ISBN : 978-2-84953-110-5

Bulles bulles bulles…

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Apprenti – Loth © La Boîte à bulles – 2011