Un carnage au fusil, des douilles partout dans la chambre, il a tiré par la fenêtre, excité par les gens qui s’agitent en bas… ce lycéen a pété les plombs. « Ils ne tiennent pas à ce que je me foute en l’air. Mais n’importe comment, il y a toujours moyen (…). J’avais d’ailleurs prévu de conserver deux cartouches pour ma pomme. Sauf que j’ai du me laisser emporter par l’euphorie, je les ai toutes tirées ».
Les flics viennent d’arriver, ils ont maîtrisé le forcené et commencent leur sale besogne, celle de compter les blessés, les morts, de faire le tour du propriétaire. Intérieur banal qui ne laissait pas présager le drame. Nous sommes à Mortagne, un petit bled qui ne paye pas de mine, un lieu du bout du monde perdu en pleine campagne, deux employeurs font vivoter le bassin d’emploi : une scierie et un domaine viticole embauchant à 50/50 les hommes du village. Cela crée un clivage et nourrit une haine ancestrale au sein de Mortagne.
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Cette BD est une adaptation d’un roman de Guillaume Guéraud, lui même tiré d’un triste fait divers. Alfred dessine et scénarise l’ensemble, viennent ensuite s’apposer les couleurs d’Henri Meunier sur cet univers très particulier.
Le personnage principal parle de son geste et revient les circonstances qui l’y ont conduit. Il présente alors « le décor » : un monde rustre, rural et étriqué. Seule trêve dans le vain combat scierie/vigne : la chasse, moment enfantin où les haines se taisent et que les clans lèvent leurs fusils de concert pour dégommer leurs congénères à poils ou à plumes. Charmant ! On rentre progressivement dans la tête du personnage à mesure que l’on cerne les codes de vie bien huilés de sa vie et qu’on comprend qu’il se débat pour éviter l’avenir déprimant et mortifère de la scierie. Alfred nous assomme : gros plans, portraits, paysages… les angles de vue se succèdent et imposent leur rythme. La colorisation crée une atmosphère morose, une violence latente. Un bruit monte en sourdine, la tension s’installe et grandit à mesure qu’on avance dans la lecture même si son dénouement nous est dévoilé dès la première planche. On étouffe dans ce monde étriqué où le libre-arbitre n’est pas de mise, où les frontières relationnelles sont érigées vulgairement, où l’on évite soigneusement de se confronter à l’inconnu.
J’ai bien aimé. Je me suis sentie oppressée pendant la lecture mais après tout, ce carcan social n’a-t-il pas eu cet effet sur le personnage principal ? Simple, sans fioritures et percutant… Album à ouvrir en ayant la certitude d’avoir une heure bien à soi car impossible de refermer le livre en cours de lecture.
L’interview d’Alfred sur BDGest’, les chroniques de Lelf, Val et d‘Hectorvadaire.
Extrait :
« A Mortagne, on n’a pas vraiment les moyens de réfléchir en fait. On a bien un cerveau, mais rien d’autre à mettre dedans que du raisin, des planches, de la sueur et du plomb. Pour le reste, on n’a pas les armes qu’il faut pour changer les choses » (Je mourrai pas gibier).
Je mourrai pas gibier
One Shot
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
Dessinateur / Scénariste : ALFRED
Dépôt légal : janvier 2009
ISBN : 978-2-7560-1313-8
Bulles bulles bulles…