Celestia (Fior)

« La grande invasion est arrivée par la mer. Elle s’est dirigée vers le nord, le long du continent. Beaucoup se sont enfuis, certains ont trouvé refuge sur une petite île dans la lagune. Une île de pierre, construite sur l’eau il y a plus de mille ans. Son nom est Celestia. »

Fior © Atrabile – 2020

Ville-refuge, ville mouvante, ville double, ville trouble. Ville espoir. Ville chimère. Celestia contient en son sein toute une part de mystères. Dans les ruelles de ses entrailles, une société s’agite. Codée. Son histoire devient une énigme car peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, se rappellent encore ce qui a motivé l’exode vers Celestia et la manière dont la vie s’est posée là.

« Je vois briller dans tes yeux cette détermination qui était la nôtre à l’époque. Cette illusion que tout pourrait recommencer ici… sur cette île de pierre… Apparue là où il n’y avait tien, telle une vision destinée à dominer la mer et la terre… C’était il y a si longtemps, mais aujourd’hui… aujourd’hui, les visionnaires, c’est vous, dans un monde sans limite. Celui de la pensée. »

Pierrot appartient à cette communauté qui grouille dans les venelles de cette ville nénuphar qui flotte sur l’eau. Il y a ceux qui œuvrent pour le bien de tous, il y a les bandes organisées. Puis il y a la foule des anonymes, affranchis de toute appartenance clanique et qui se fondent dans la masse. Pierrot fait partie de ceux-là. Suspicieux, solitaire, autonome… il s’est construit son petit réseau personnel qu’il contacte au gré de ses besoins ; le troc est encore la meilleure monnaie pour s’en tirer.

Le docteur Vivaldi aimerait pourtant que Pierrot rejoigne son équipe de télépathes. Les compétences de Pierrot lui seraient une aide précieuse pour mener à bien son projet… et pour ramener Dora dans le groupe. Faire alliance avec Pierrot l’aiderait également à atténuer la culpabilité qu’il a vis-à-vis du jeune homme. Mais Pierrot est bien trop rancunier pour accepter l’offre du Docteur. L’affabilité de ce dernier le convainc même d’aider Dora à fuir Célestia. Ensemble, ils vont tenter de trouver un asile dans la lagune. Cette cavale est l’occasion pour eux de découvrir le continent et ceux qui le peuplent.

« Les choses les plus belles ne durent qu’un instant. »

Dans « L’Entrevue », Manuele Fior avait déjà cherché à imaginer ce que pourrait être l’humanité de demain. Tenter d’entrapercevoir les possibles et la manière dont l’espèce humaine pourrait évoluer. Il avait également placé au cœur de son récit le personnage énigmatique et fragile de Dora. Cette dernière relie ainsi ces deux récits intemporels de façon troublante.

Dans ce monde post-apocalyptique, le ton narratif est relativement doux. Et face à cette société qui renait lentement de ses cendres, on ne peut éviter d’attendre des réponses qui resteront en suspens. Quelle est la nature de cette catastrophe qui a balayé la civilisation ? Quelle est donc la teneur de cette « grande invasion » à laquelle il est fait référence ? Catastrophe nucléaire ? écologique ? Folie des hommes ? Nul doute que ce chamboulement était de taille pour ainsi forcer le cours des choses. On fantasme sur les causes réelles sans toutefois peiner à trouver nos repères dans ce monde. Celestia est une copie conforme de Venise et Manuele Fior et organise son échiquier narratif autour de ce lieu mythique. Il matérialise le fait que l’espoir d’une vie meilleure a été placé dans chaque pierre de Celestia… Une enclave de pierre entourée d’eau comme une promesse féconde que les erreurs du passé sont loin derrière… Fadaises ! La mémoire de l’Homme est fugace…

Le monde d’après aurait pu être pacifique mais ce scénario ne l’entend pas de cette oreille. Il vient titiller les penchants de l’homme à s’immiscer dans les failles et glisser sur la mauvaise pente. On retrouve les déviances de nos sociétés actuelles : mensonges, harcèlement, manipulation, domination par la peur… Maquillage, costume ou port du masque vénitien, il est rare de voir des badauds se promener à visage découvert. Dans cette ville d’apparat, les malfrats en tout genre peuvent manœuvrer en toute impunité. Le porte du masque vénitien sert à afficher son identité… ou à se protéger.

Le côté lumineux du récit vient de ce que l’auteur imagine des conséquences du besoin de survie. Ainsi, nombre d’individus ont développé des capacités de télépathe. L’humanité du futur verrait ainsi ses individus reliés les uns aux autres. Ce qui est intéressant et ouvre la question d’agir pour le bien commun de tous… exit l’individualisme. Manuele Fior dose enfin parfaitement différents registres narratifs et parvient à semer le trouble entre illusion et réalité et entre passé, présent et futur. On est de nouveau dans un récit intemporel dont on a du mal à décrocher une fois que la lecture est commencée.  

C’est un album abouti que Manuele Fior nous livre. Superbe découverte.

Celestia (one shot)

Editeur : Atrabile

Dessinateur & Scénariste : Manuele FIOR

Traduction : Christophe GOUVEIA ROBERTO

Dépôt légal : août 2020 / 272 pages / 30 euros

ISBN : 978-2-88923-091-4

La vie devant soi (Gary & Fior)

Gary – Fior © Futuropolis – 2017

Momo « n’a pas été daté » mais ce gamin sait qu’il a à vue de nez environ 10-11 ans.

Momo ne connaît pas ses parents. Il sait seulement que sa mère se « défend avec son cul » quelque part dans un quartier de Paris.

Momo a été confié à Madame Rosa, une vieille pute qui, quand elle n’a plus eu l’âge de faire le tapin, s’est reconvertie et a ouvert une pension de famille qui accueille des enfants de prostituées. Madame Rosa vit des mandats mensuels que les putes lui versent pour payer la garde des gamins. Quand un paiement cesse, Madame Rosa continue malgré tout à garder le mouflet, n’ayant pas le cœur de le confier à l’Assistance Publique.

L’univers de Momo, c’est Belleville : son quartier. L’école qu’il quittera tôt après avoir expérimenté le racisme de ses camarades. Le bar du coin où il retrouve le vieux Monsieur Hamil qui a arrêté de vendre ses tapis, le docteur Katz, Madame Lola le travesti sénégalais et les autres gosses de la pension de Madame Rosa.

Momo à la recherche de ses origines. De son identité. Qui est sa mère ? A-t-il un père ? Pourquoi ne viennent-ils jamais le voir le dimanche comme le font les mères des autres gamins ?

Momo c’est tout un univers qu’il habite. Les frontières de son quartier lui offrent toute la liberté possible mais à 10 ans, que peut bien comprendre Momo de ce monde-là ? Un monde dans lequel les adultes offrent des réponses qu’ils laissent en suspens et dont l’enfant comble les brèches comme il peut.

Momo se croit « proxynète » …

Puis elle a demandé sa robe de chambre rose mais on a pas pu la faire entrer dedans parce que c’était sa robe de chambre de pute et elle avait trop engraissé depuis quinze ans. Moi je pense qu’on respecte pas assez les vieilles putes, au lieu de les persécuter quand elles sont jeunes. Moi si j’étais en mesure, je m’occuperais uniquement des vieilles putes parce que les jeunes ont des proxynètes mais les vieilles n’ont personne. Je prendrais seulement celles qui sont vieilles, moches et qui ne servent plus à rien, je serais leur proxynète, je m’occuperais d’elles et je ferais régner la justice. Je serais le plus grand flic et proxynète du monde et avec moi personne ne verrait plus jamais une vieille pute abandonnée pleurer au sixième étage sans ascenseur.

… et Momo croit des tas de choses mais finalement, il a ses définitions bien à lui du racisme, de l’amour, de la contraception, de la maladie, de l’épilepsie, de la sénilité…

Alors Momo se trompe de mots mais il ne sait pas. Une crise d’amnésie est pour lui une « crise d’amnistie » , l’état d’hébétude est un « état d’habitude » et j’en passe.

Un roman troublant sur l’amitié d’un garçon et d’une vieille dame. Un roman d’apprentissage où le personnage principal tente d’acquérir les armes qui lui serviront dans sa vie d’adulte. Mais quelle idée a-t-il de cette société normée et conventionnelle ? Il a sa propre idée, ni très loin de la vérité ni très près de la réalité.

Un roman sauvage où l’enfant se bat avec l’idée qu’il se fait de la vie. Une vie dure, dans la misère mais la tendresse et la complicité de Madame Rosa la lui rend plus douce. A ses côtés, il s’apaise et se construit des réponses. Poète à sa façon, il est pragmatique et tire ce qu’il peut comme leçon de ses expériences.

L’écriture de Romain Gary (sous le pseudonyme d’Emile Ajar) m’a donnée du fil à retordre. Chaque pause dans la lecture impliquait que lorsque je reprenais l’ouvrage, je devais accepter ce laps de temps nécessaire pour s’habituer au rythme et à la construction si singulières des phrases. La pensée d’un presque adolescent dans tout ce qu’elle a d’hésitant, de rugueux, de râpeux et de naïf. Lire « La vie devant soi » c’est faire l’expérience d’une ponctuation capricieuse, c’est se heurter à une structuration parfois illogique de la pensée, c’est côtoyer des métaphores pleines de non-sens et d’absurde… des métaphores qui pourtant nous montrent parfaitement comment ce jeune individu-là se place dans le monde et pense son rapport au monde.

Et puis le pauvre, il doit porter un amour trop grand pour lui. Cet amour qu’il voue à Madame Rosa, SON repère, SON pilier, elle sans qui il n’aurait pas connu la chaleur d’un foyer. Elle qui parle de « son trou juif » , un espace vis-à-vis duquel Momo mettra du temps à comprendre l’utilité et qui n’est autre qu’un lieu rassurant pour Madame Rosa encore très affectée par les traumatismes de la guerre et son expérience des camps de concentration.

Une écriture indocile, intranquille, immature comme peut l’être cet enfant qui n’en est plus vraiment un. Un enfant qui a grandi tordu et qui met tout son cœur à se tenir droit… mais c’est contre sa nature. Un enfant qui construit une image de la société comme un château de cartes et avec beaucoup d’imaginaire. Les illustrations de Manuele Fior mettent délicatement en valeur ce fragile édifice.

Extraits :

Page 11 : « Au début je ne savais pas que je n’avais pas de mère et je ne savais même pas qu’il en fallait une. Madame Rosa évitait d’en parler pour ne pas me donner des idées. Je ne sais pas pourquoi je suis né et qu’est-ce qui s’est passé exactement. Mon copain le Mahoute qui a plusieurs années de plus que moi m’a dit que c’est les conditions d’hygiène qui font ça. Lui était né à la Casbah à Alger et il était venu en France seulement après. Il n’y avait pas encore d’hygiène à la Casbah et il était né parce qu’il n’y avait ni bidet ni eau potable ni rien. Le Mahoute a appris tout cela plus tard, quand son père a cherché à se justifier et lui a juré qu’il n’y avait aucune mauvaise volonté chez personne. Le Mahoute m’a dit que les femmes qui se défendent ont maintenant une pilule pour l’hygiène mais qu’il était né trop tôt. » (La Vie devant soi)

Page 53 : « Madame Rosa se tourmentait beaucoup pour ma santé, elle disait que j’étais atteint de troubles de précocité et j’avais déjà ce qu’elle appelait l’ennemi du genre humain qui se mettait à grandir plusieurs fois par jour. Son plus grand souci après la précocité, c’était les oncles ou les tantes, quand les vrais parents mouraient dans un accident d’automobile et les autres ne voulaient pas vraiment s’en occuper mais ne voulaient pas non plus les donner à l’Assistance, ça aurait fait croire qu’ils n’avaient pas de cœur dans le quartier. C’est alors qu’ils venaient chez nous, surtout si l’enfant était consterné. Madame Rosa appelait un enfant consterné quand il était frappé de consternation, comme ce mot l’indique. Ça veut dire qu’il ne voulait vraiment rien savoir pour vivre et devenait antique. C’est la pire chose qui peut arriver à un môme, en dehors du reste. »

Page 136 : « Je comprenais bien que c’était chez elle l’effet du choc récapitulatif qu’elle avait reçu en voyant les endroits où elle avait été heureuse, mais des fois ça n’arrange rien de comprendre, au contraire. Elle était tellement maquillée qu’elle paraissait encore plus nue ailleurs et faisait avec ses lèvres des petits mouvements en cul de poule absolument dégueulasses. Moïse était dans un coin en train de hurler, mais moi j’ai seulement dit « Madame Rosa, Madame Rosa » et je me suis précipité dehors, j’ai dégringolé l’escalier et je me suis mis à courir. Ce n’était pas pour me sauver, ça n’existe pas, c’était seulement pour ne plus être là. » (La Vie devant soi)

La Vie devant soi

Récit complet
Editeur : Futuropolis
Auteur : Romain GARY (Emile AJAR)
Illustrateur : Manuele FIOR
Dépôt légal : novembre 2017
232 pages, 26 euros, ISBN : 978-2-7548-2153-7

Bulles bulles bulles…

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La vie devant soi – Gary – Fior © Futuropolis – 2017

L’Entrevue (Fior)

Fior © Futuropolis – 2013
Fior © Futuropolis – 2013

Raniero, la cinquantaine, psychologue pour qui son couple bat de l’aile.

Alors qu’un soir, il roule tranquillement sur les routes de campagne pour rentrer chez lui, il est surpris par l’angle d’un virage. Suite à l’accident, la voiture n’est plus en état de fonctionner mais lui est quitte pour le port de la minerve pendant une semaine. Une semaine bien agitée d’ailleurs puisque suite à cet incident, Raniero se fait passer à tabac lors du cambriolage de sa maison et subit la rupture conjugale imposée par sa femme. Dans ce laps de temps, il débute le suivi thérapeutique de Dora, une jeune patiente de 21 ans, hospitalisée de force par ses parents en raison de ses choix de vie qu’ils jugent amoraux (elle est adepte de la Nouvelle Convention qui se base sur le principe de la non-exclusivité du partenaire). Troublante jeune femme qui assume totalement ses convictions. Elle dit être sujette à des hallucinations auditives et parle à cœur ouvert des contacts télépathiques qu’elle entretiendrait avec des civilisations extraterrestres…

Un nouvel album de Manuele Fior fait l’effet d’une petite secousse dans le paysage de la bande dessinée. Né en 1975, il n’est plus nécessaire de présenter cet auteur récompensé en 2011 pour son travail sur Cinq mille kilomètres par seconde. Chacun de ses albums permet aux lecteurs de s’immiscer, l’espace d’une centaine de planches, dans des univers passionnants à l’instar d’Icarus ou de Mademoiselle Else.

L’entrevue ne déroge pas à cette règle et le lecteur trouve rapidement sa place dans cette histoire intemporelle. On se perd délicieusement entre passé, présent et futur. On doute : est-ce un rêve ou est-ce la réalité ? Mais il semble difficile de perdre pied tant le personnage principal nous tient la main avec une fermeté assurée.

Chaque élément narratif, chaque détail graphique est propice au voyage. Le lecteur s’approprie peu à peu cet univers qui l’installe en douceur dans une société futuriste. On tâtonne : qu’est-il advenu par le passé ? Catastrophe naturelle ? Nucléaire ? Révolution ? Libération des mœurs ?… mais c’est avec une facilité déconcertante que l’on trouve finalement nos repères dans ce monde en effervescence. On a plaisir à comprendre les codes de cette société en plein émoi, à imaginer les causes et les conséquences de la mutation qui opère. Cela intrigue le lecteur à deux niveau : le lecteur est intrigué puisque son trouble est entretenu en permanence (c’est l’effet découverte) et cela rend la lecture captivante.

Fior © Futuropolis – 2013
Fior © Futuropolis – 2013

L’histoire repose entièrement sur la présence des deux personnages principaux : le psychologue et sa patiente. Lui se dévoilera sans trop de pudeur sous nos regards attentifs alors qu’elle, plus extravertie en apparence, sera plus farouche et plus méticuleuse dans l’effeuillage de sa psyché. Alors que tout les sépare (génération, situation sociale, vie de couple…), les passages durant lesquels ces deux individus se côtoient donnent lieu à une ambiance harmonieuse, sereine… comme si tout était à sa place.

Enfin, Manuele Fior propose cette fois un univers exempt de couleurs. Lavis, aplats et crayons gras créent une atmosphère riche et délicate qui retranscrit les émotions des personnages et emporte le lecteur dans cette intrigante romance.

Une lecture que je partage avec Mango

Logo BD Mango Noir

PictoOKPictoOKCharmée par la poésie contenue dans cette histoire, séduite par le duo de personnages et fascinée par ce monde légèrement futuriste ! Très bel ouvrage dont je vous recommande la lecture. Il m’a souvent rappelé une ambiance que j’avais déjà fort appréciée dans Les derniers jours d’un immortel (one shot de Fabien Vehlmann & Gwen de Bonneval).

Quelques planches dissimulées çà et là sur le site de Manuele Fior.

Les chroniques de Marie Rameau, A chacun sa lettre, Cristie.

Extraits :

« Que serions-nous s’il ne nous restait même pas les rêves ? » (L’entrevue).

« Je n’ai plus envie de voir personne. Sauf vous. Même quand je suis seule, je sens que votre regard me rejoint. Il m’arrive par vagues, de plus en plus fortes. Comme une marée de douceur infinie. Il passe à travers les murs et je reste désarmée, paralysée, en attendant la vague suivante » (L’entrevue).

L’entrevue

One shot

Editeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Manuele FIOR

Dépôt légal : avril 2013

ISBN : 978-2-7548-0583-4

Bulles bulles bulles…

La preview sur Digibidi.

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L’entrevue – Fior © Futuropolis – 2013

Mademoiselle Else (Fior)

Mademoiselle Else
Fior © Guy Delcourt Productions – 2009

Else est une jeune femme de 20 ans. Issue d’une famille de notables, elle se contraint bon gré mal gré à respecter certaines obligations dues à son rang social.

Cet été-là, elle passe ses vacances dans une pension de famille huppée en compagnie de sa tante. La lecture d’un courrier de sa mère la sort d’une insouciance doucereuse. Elle quitte brusquement ses rêves frivoles pour demander une aide financière à Dorsday, un ami de la famille. Ce dernier accepte, à condition qu’Else se dénude. Les apparences hautaines et dédaigneuses d’Else cachent son désarroi mais, derrière le masque, l’héroïne est en proie à ses fantasmes et à ses angoisses.

Cecile a attiré mon attention sur cet ouvrage au moment même où je sortais de la lecture de Cinq mille kilomètres par seconde. Entre temps, Icarus avait modéré mon envie de découvrir d’autres albums de l’auteur.

J’ai retrouvé avec plaisir le trait de Manuele Fior que j’avais apprécié dans Cinq mille kilomètres par seconde. Mademoiselle Else nous propose une ambiance graphique soignée, sombre. Pour commencer, on est face à un subtil agencement de pastels où, tour à tour, prédominent des ocres-marrons, des verts, des bleus, des violines. Passé le premier temps de l’album dans lequel il est question de nonchalance… la seconde partie fait place à mélancolie. Il sera orchestré par des teintes de gris, noirs, marrons renforçant d’autant la souffrance d’Else. Les aquarelles magnifiques servent parfaitement le récit, faisant écho à l’état d’esprit du personnage principal.

Pourtant, le scénario ne m’a pas permis de m’impliquer pleinement dans l’histoire. La froideur d’Else est palpable. Je ne suis pas parvenue à m’attacher à cette jeune femme destructrice, peut-être est-ce plus facile dans le roman original de Schnitzler (?). Éternelle insatisfaite, ambiguë, seuls les jeux de séduction semblent attirer son attention. Charismatique, sensuelle, solitaire et mystérieuse, son sens critique est altéré par une vision lacunaire du monde. Une méconnaissance certaine d’elle-même la force à se protéger derrière une épaisse carapace. Des deux parties de cet album, la seconde est réellement angoissante et très sombre. L’héroïne y est torturée, en proie à des émotions qui la tiraillent entre le désir et l’angoisse, entre une volonté de s’émanciper et la peur de mal faire. Elle perd pied. La lettre de sa mère s’avère, au final, être un violent traumatisme pour la jeune femme.

PictoOKMême si je n’ai pas investit cet étrange personnage, j’aime le fait qu’il soit presque palpable. Manuele Fior a conçu une atmosphère qui nous permet de ressentir la pression grandissante que se crée Else. Une descente en pente douce vers la folie.

D’autre avis : Bodoï, BDGest, Val.

Mademoiselle Else

One Shot

Éditeur : Delcourt

Collection : Mirages

Dessinateur / Scénariste : Manuele Fior

Dépôt légal : septembre 2009

Bulles bulles bulles…

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Mademoiselle Else – Fior © Guy Delcourt Productions – 2009

D’autres planches à découvrir sur le site de l’auteur !

Immigrants (Dabitch & Collectif)

Immigrants
Dabitch – Collectif © Futuropolis – 2010

Autour de Christophe Dabitch se sont rassemblés 12 dessinateurs BD et 6 historiens (dont Gérard Noiriel). Ils ont rassemblés plusieurs témoignages de personnes venues en France pour des raisons politiques, médicales, familiales… Comment vivent-elles cette expérience ? Ont-elles rencontré des difficultés ? Si oui, lesquelles ? Quels liens ont-elles conservé avec leur pays natal ?

Le premier témoignage est celui d’une femme congolaise qui raconte les événements qui ont entraîné sa fuite, projet qui s’est imposé à elle. « C’est de la fiction ! C’est comme dans un film ! » dit-elle en se remémorant les violences qu’elle a subies, elle a encore du mal à croire ce qu’elle a vécu… nous aussi. Pourtant, les stigmates de son cauchemar sont bel et bien là, les cicatrices et les douleurs physiques aussi.

110 pages pour découvrir des parcours divers et constater la multiplicité des visages de l’immigrant. Certains de nos préjugés sont chahutés, les textes de Christophe Dabitch font mouche même si tous les témoignages n’ont pas la même qualité (le plus confus me semble être le récit de deux Kurdes, Günesh & Buket, mis en images par Diego Doña Solar… j’ai décroché). Les autres viennent d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Asie, d’Europe… ils ont été opprimés, menacés, ils sont commerçants ou politiciens… ils se racontent et décrivent le motif de leurs départs, leurs nouvelles vies et font le point sur ce que leur apporte ou leur refuse la France. On y parle d’accès à la culture, de lourdeurs administratives, de sentiment d’être déraciné, de racisme, de sécurité, d’accès aux soins…

Les récits sont intimistes et disposent chacun d’une ambiance graphique propre, certaines touches me sont familières (Simon Hureau, Étienne Le Roux…), d’autres totalement nouvelles (Kkrist Mirror, Christian Durieux…) et les dernières sont un mélange des deux comme les dessins de Sébastien Vassant mis en couleur alors que je ne l’avais lu qu’en noir et blanc. En intercalaires -tous les deux témoignages- des textes d’historiens reviennent sur l’évolution du phénomène de l’immigration à travers l’histoire. Ces six analyses zooment sur une spécificité du phénomène de l’immigration : femmes migrantes, communautés asiatiques…

Voici une BD engagée qui, sur la forme, n’est pas sans me rappeler En Chemin elle rencontre également réalisé par un collectif d’auteurs et dénonçant les violences faites aux femmes (nous en avons également parlé sur kbd en octobre dernier). En fin d’album, pour ceux qui seraient intéressés par ce type de publications, un rappel de l’importante (car nécessaire) participation de BD BOUM dans ce domaine de l’édition et son investissement auprès des collectifs de Paroles de…

Une lecture que j’inscris dans le cadre du Challenge Histoire de Jelydragon

PictoOKUn recueil très intéressant qui alterne témoignages et analyse d’historiens. Immigrants est le cri d’une réalité crue face à laquelle on préfère habituellement détourner le regard.

Je remercie les éditions Futuropolis pour cette découverte.

Extraits :

« J’ai perdu tout ce que j’avais. C’est pas un paradis ici, le paradis, c’est chez moi. quand je vivais là-bas, ce que je faisais. J’étais respectée, on m’appelait même maman dans mon quartier. J’ai perdu cette dignité et les gens savent ce qu’on m’a fait. J’ai perdu ma valeur, ça m’a détruite tout ça. Je veux ajouter une chose. Les gens vous regardent surtout quand vous avez demandé l’asile comme si vous étiez… je ne sais pas. Des choses » (Immigrants).

Immigrants

One Shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateurs : Christian Durieux, Benjamin Flao, Manuele Fior, Christophe Gaultier, Simon Hureau, Étienne Le Roux,

Kkrist Mirror, Jeff Pourquié, Diego Dona Solar, Troub’s, Sébastien Vassant

Couverture : Étienne DAVODEAU

Scénariste : Christophe DABITCH

Dépôt légal : novembre 2010

ISBN : 9782754804073

Bulles bulles bulles…

Difficile d’extraire un visuel de cet album tant les ambiances sont propres à chaque témoignage. Le blog de l’éditeur propose des extraits des trois premiers témoignages. Je vous laisse découvrir tout ça chez eux ! C’est ici !

Icarus (Fior)

Icarus
Fior © Atrabile – 2006

« Qui de Faust ou d’Icare saura discerner la part de l’homme de celle du monstre ? Qui saura tuer son propre Minotaure ? Icarus nous transporte d’un monde à l’autre, dans les univers parallèles de Dédale et Icare, prisonniers du labyrinthe, et de Sylvia et Faust, architecte prisonnier de ses tourments intérieurs… Dédale cherchant à sauver son fils, et Sylvia son amant… Ouvrage ambitieux et imposant mêlant mythologie et psychologie, cet Icarus, après Les Gens le Dimanche, montre une nouvelle facette du talent de Manuele Fior. Plus qu’une simple relecture du mythe d’Icare, c’est une oeuvre à tiroir, foisonnante, touffue, que nous offre ici le jeune auteur italien » (synopsis éditeur).

Récemment, j’ai découvert Manuele FIOR avec Cinq mille kilomètres par seconde (album que je vous conseille vivement, ne serais-ce que pour la qualité des ambiances graphiques).

Icarus nous emmène dans un voyage troublant. On revisite le mythe d’Icare avec un style à l’opposé de celui qu’avaient empruntés Moebius et Taniguchi sur le même thème. On erre dans un espace-temps indéfini, on cherche des repères et on s’accroche à nos connaissances sur la Mythologie grecque sans savoir réellement si c’est la bonne marche à suivre.

L’intrigue se déroule sur deux périodes. Un pan de l’album nous installe aux côtés de Dédale et Icare. Pour le reste, l’intrigue évolue dans une période plus proche de la notre (voire la notre ?) avec Silvia qui tente de sauver l’âme de son amant Faust. Chaque personnage, dans son époque, va côtoyer des êtres sans âge et mystérieux. L’un se frotte aux caprices de Minos et l’autre se heurte aux réponses énigmatiques du Docteur.

Rouge/noir/blanc pour camper les ambiances et accentuer tantôt le côté sombre, tantôt la tension.

Manuele FIOR a exploité la bichromie avec talent, mais le résultat est, pour moi, trop « art contemporain » (je ne sais pas définir mon ressenti : un récit trop abstrait et une
colorisation trop abstraite font un Tout et un accueil de ce Tout atypiques). Je maîtrise trop peu les subtilités de cet album pour le savourer réellement. Je me suis contentée d’une contemplation et d’une lecture au premier degré.

J’ai du mal à percevoir la morale de cet ouvrage et à accepter les passerelles faites par l’auteur : Minos/Le Docteur/Le Diable, Faust/Icare… ?

PictomouiJe n’aime pas réellement me faire mener par le bout du nez sans avoir la possibilité, à un moment, de cerner les tenants et les aboutissants de ma lecture. Ici pourtant, tel fut le cas… Une adaptation très personnelle du mythe d’Icare.

Je crois que je vais demander à David et à tout autre lecteur potentiel de cet album d’éclairer ma lanterne ^^

Icarus

One Shot

Éditeur : Atrabile

Collection : Bile blanche

Dessinateur / Scénariste : Manuele FIOR

Dépôt légal : avril 2006

ISBN : 978-2-940329-25-0

Bulles bulles bulles…

D’autres planches sont consultables ici.

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Icarus – Fior © Atrabile – 2006