Essence (Bernard & Flao)

Bernard – Flao © Futuropolis – 2018

Achille a un dernier travail à accomplir dans cet étrange lieu dont il ne sait rien… pas même les événements qui l’y ont amené. Une sorte d’antichambre où il a atterri sans savoir comment. A ses côtés, pour le guider sur les routes de cette surprenante contrée, il y a Mademoiselle. Elle lui explique qu’il a une dernière chose à faire avant d’atteindre sa destination finale. Elle lui explique qu’il est au purgatoire, ce qui fait beaucoup rire (jaune) Achille. Mademoiselle est aussi belle que mystérieuse. Mademoiselle est comme une thérapeute… une confidente… voire un ange gardien puisqu’elle aime à se décrire comme tel.

Achille aurait préféré pouvoir la considérer comme une amie… voire plus si affinités… mais Mademoiselle s’y oppose avec fermeté.

Achille est donc là pour faire le point. Prendre le recul nécessaire par rapport à ce qui s’est passé ces dernières années. Prendre du recul par rapport à sa vie… sonder ses souvenirs et forcer sa mémoire capricieuse.

Achille va vivre une étrange expérience. Les situations qu’il va traverser sont pour le moins saugrenues et il du temps pour comprendre et accepter la teneur de ce « voyage improvisé » … et parvenir à faire les derniers liens qui lui avaient manqué jusque-là.

« Essence » est une plongée dans l’univers loufoque de Fred Bernard. Un univers onirique bourré de succulentes métaphores. Un lieu rempli d’absurdes incohérences et saturé de réalistes constats. Un monde sans concessions. L’écriture de Fred Bernard est vivante, chaude, dynamique. Le scénariste s’en donne à cœur joie, salue d’autres univers imaginaires : Fred et ses histoires absurdes (« Histoire du conteur électrique » , « Histoire du Corbac aux baskets » , « Philémon » …), Hergé et son inépuisable Tintin, Miyazaki et ses voyages magnifiques, Moebius et ses mondes futuristes… Tout un fatras de références passe sous nos yeux, se bousculent sans nous heurter, nous régalent. L’auteur puisent également dans des références littéraires mais il emprunte également quelques repères de la culture populaire au cinéma et à la peinture. C’est aussi avec un plaisir non dissimulé qu’on retrouve la gouaille et la répartie des personnages qu’il a créé dans sa saga « Jeanne Picquigny » , recréant pour l’occasion des personnages frondeurs, tempétueux, entêté mais ô combien attachants et n’hésitant pas à se remettre en question, à l’instar d’Achille – personnage principal de ce récit – qui s’obstine à refuser de voir la situation en face et à comprendre ce qui est en train de lui arriver.

Grosse performance de Benjamin Flao au dessin avec un travail à l’aquarelle est encore plus poussé que sur « Kililana song ». Il crée une ambiance à la fois poétique et psychédélique où se côtoient douceur, nostalgie et un brin de folie pure. Une pléiade de couleurs s’invite sur les planches. Le travail de mise en image de cette épopée introspective est tout bonnement magnifique. Benjamin Flao a un vrai don pour illustrer parfaitement un mot, une image, une pensée. Epoustouflant. Il finit l’album en apothéose avec une scène d’action muette qui s’étale sur une trentaine de pages. Je dis « Chapeau l’artiste ! » .

Un régal cet album qui n’a pas été sans me rappeler « Le Commun des mortels » d’Alain Kokor.

La chronique d’Yvan pour finir de vous convaincre.

 Essence
One shot
Editeur : Futuropolis
Dessinateur : Benjamin FLAO
Scénariste : Fred BERNARD
Dépôt légal : janvier 2018 / 185 pages / 27 euros
ISBN : 978-27548-1179-8

Chroniks Expresss #15

Solde des lectures de novembre :

BD :

Aâma #4 (F. Peeters ; Gallimard, 2014), Katharine Cornwell (M. Malès ; Les Humanoïdes Associés, 2007), Mauvais garçons – diptyque (C. Dabitch & B. Flao ; Ed. Futuropolis, 2009)

Romans :

Oscar et la dame rose (E-E Schmitt ; Ed. Albin Michel, 2002), Mon dernier cheveu noir [suivi de] Histoires pour distraire ma psy (J-L Fournier ; Ed. Anne Carrière, 2009), Sous les vents de Neptune (F. Vargas ; ED. J’ai Lu, 2008), Zouck (P. Bottero ; Ed. Flammarion, 2004)

 

Bandes dessinées

 

Aâma #4

Peeters © Gallimard – 2014
Peeters © Gallimard – 2014

La fuite sans fin de Verloc se poursuit. Le groupe auquel il appartenait s’est disloqué, certains sont morts, d’autres ont pris un autre chemin. Sur cette dernière ligne droite à Ona(ji), il se retrouve seul avec sa « fille » pour la confrontation ultime avec l’entité Aâma. Lorsque la rencontre a lieu, Verloc perd rapidement conscience des événements. Il reprendra connaissance dans une réalité parallèle…

« Je sens demain en moi. Une part de moi est l’avenir. Une part est le passé. Mon regard est libre. Je ne suis plus centré sur moi-même ».

Que s’est-il passé ? Dans quelle mesure Verloc a-t-il prise sur les événements à venir. Ce quatrième opus vient conclure cette série. Au rythme d’un album par an depuis 2011, Frederik Peeters nous a permis de voyager dans une étrange dimension. A mesure que le lecteur avance dans la série, il perd progressivement toutes ses certitudes et les événements qui ont lieu le forcent à lâcher prise à mesure qu’il s’enfonce dans la découverte des personnages et de l’entité Aâma. Beaucoup de digressions, de passages muets, de suggestions… Un voyage déroutant. A lire à tête reposée.

PictomouiJ’ai suivi le projet Aâma de bout en bout, à commencer par le blog que l’auteur a ouvert avant la sortie du premier tome de la série. J’avoue que certains éléments de l’intrigue échappent complètement à ma compréhension. A relire certainement mais loin du plaisir que j’avais eu en lisant Lupus par exemple.

 

 

Katharine Cornwell

Malès © Les Humanoïdes Associés – 2007
Malès © Les Humanoïdes Associés – 2007

Katharine est comédienne. Elle joue actuellement sur scène une pièce qui lui tient à cœur mais les raisons sont obscures. Katharine est secrète ; la vie semble glisser sur elle malgré la fierté qu’elle tire d’avoir décroché le rôle, malgré une relation amoureuse qui semble la combler, malgré la présence de son frère dont elle semble si proche… elle semble écrasée par le poids d’une culpabilité. Le personnage qu’elle joue à la scène lui permettrait-il d’expier une faute ?

Marc Malès a réalisé cet album trois ans après L’Autre laideur, L’Autre Folie. Nous retrouvons de nouveau un personnage féminin en proie au tourment et désireuse de lever enfin le voile sur ce secret qui semble la ronger de l’intérieur. Mais elle lutte et ne parvient pas à sortir de son indécision. De fait, elle garde en permanence une certaine distance avec les gens qui sont amenés à la côtoyer. Marc Malès parvient tout à fait à retranscrire cette ambivalence et la retenue que le personnage veille à avoir.

On tâtonne dans la lecture, avançant d’une scène à l’autre sans qu’il n’y ait aucune transition entre les passages qui se succèdent sans qu’on ne parvienne à faire le lien entre eux. Bien sûr, ce sentiment est temporaire mais c’est assez désagréable. Il est difficile de cerner cette femme et l’auteur ménage tant et tant son intrigue que le lecteur devra patienter pour pouvoir appréhender exactement les tenants et les aboutissants de cette histoire.

pictobofDéception, l’album n’a pas la trempe de L’Autre laideur, L’Autre folie voire de Sous son regard. Je déconseillerais cet album si vous souhaitez découvrir le travail de Marc Malès.

 

Mauvais Garçons, diptyque de Christophe Dabitch et Benjamin Flao

tomes 1 et 2 – Dabitch – Flao © Futuropolis - 2009
tomes 1 et 2 – Dabitch – Flao © Futuropolis – 2009

« En Andalousie, de nos jours. Il se nomme Manuel, sa famille est originaire d’Andalousie, mais il a vécu en France jusqu’à ce qu’il décide de revenir s’y installer. Il a un ami gitan qui se nomme Benito, un chanteur hors norme. Manuel et Bénito sont inséparables. Car, ce qui lie avant tous les deux jeunes hommes, c’est l’amour du flamenco, le vrai, le pur, pas le flamenco rock comme peuvent le jouer certains frimeurs méprisables (mais qui, à contrario, gagnent très bien leur vie). Ces « mauvais garçons » vivent au jour le jour d’expédients. Seul leur amour des femmes leur fait tourner la tête. Mais quand Manuel tombe amoureux de la belle Katia, assistante sociale auprès de gitans, la rivalité s’installe… » (synopsis éditeur).

Les bonnes critiques ont été nombreuses à fleurir sur la toile. Servant ce récit, les lecteurs avaient généreusement partagé leurs avis afin de transmettre le goût et l’envie de découvrir ce diptyque. J’ai eu maintes occasions de me le procurer ; à l’achat, à l’emprunt, au prêt… sans chercher à en comprendre la raison, j’ai passé ces dernières années à esquiver ces opportunités, constatant à chaque fois que l’ambiance graphique ne m’interpellait pas outre mesure. Pourtant, la dernière fois que j’ai pu tenir en main le premier tome des Mauvais garçons, la perception que j’en ai eu était différente. C’est la raison pour laquelle je suis ressortie de la Médiathèque avec cette courte série dans mon sac.

Des tons sépias travaillés tantôt à l’aquarelle, tantôt au crayon gras, tantôt… une richesse de composition à laquelle je ne suis pas restée insensible. Sur ces planches, le fait que deux hommes évoluent, se heurtent et se réconcilient donne un côté très brutal à l’univers. Une amitié sauvage entre un français et un gitan que tout opposent si ce n’est leur passion pour la musique flamenco. Le flamenco est pour eu un art de vivre, une harmonie rare qu’ils parviennent à atteindre dans des moments privilégiés.

Mais en dehors de cet amour inconditionnel qu’ils vouent au flamenco, leur vie est en lambeaux. Une fuite en avant faite de mauvais choix, de sentiments mal exprimés, de déveine et d’alcool. Les moments de transe qu’ils vivent grâce au chant et à la danse pansent leurs plaies de manière éphémère.

pictobofContrairement à ces personnages fictifs, les vibrations du flamenco ne sont pas montées jusqu’à mes oreilles. Incapable de ressentir la moindre empathie, incapable de m’intéresser un tant soit peu au devenir de ces hommes… l’histoire de ce livre a glissé sur moi comme des gouttes d’eau sur une vitre.

 

Romans

Oscar et la dame rose

Schmitt © Albin Michel – 2002
Schmitt © Albin Michel – 2002

« Voici les lettres adressées à Dieu par un enfant de dix ans. Elles ont été retrouvées par Mamie Rose, la « dame rose » qui vient lui rendre visite à l’hôpital pour enfants. Elles décrivent douze jours de la vie d’Oscar, douze jours cocasses et poétiques, douze jours pleins de personnages drôles et émouvants. Ces douze jours seront peut-être les douze derniers. Mais, grâce à Mamie Rose qui noue avec Oscar un très fort lien d’amour, ces douze jours deviendront légende » (quatrième de couverture).

Des mots simples pour parler de la maladie. Sans pathos et avec un humour déroutant, l’auteur fait écrire à cet enfant des lettres magiques. Avec un soupçon d’imagination, l’enfant s’invente une vie finalement bien remplie. Les tracas de l’adolescence, les joies du bonheur conjugal, l’adultère, la foi… Finalement, ce petit roman de 100 pages nous emmène bien au-delà des quatre murs d’une chambre d’hôpital.

PictoOKUn roman tendre sur la maladie et la mort.

« J’ai le cœur gros, j’ai le cœur lourd, Oscar y habite et je ne peux pas le chasser » (Oscar et la dame rose).

 

Mon dernier cheveu noir [suivi de] Histoires pour distraire ma psy

Fournier © Anne Carrière - 2009
Fournier © Anne Carrière – 2009

Première partie : Mon dernier cheveu noir

« Sur votre nouvel agenda, n’écrivez plus les noms des amis de votre âge à l’encre mais au crayon »

Vieillir. Un processus inévitable. Le corps de l’homme est « biodégradable » comme le dit si bien Jean-Louis Fournier. Y faire face, l’accepter ou s’y résoudre. A-t-on vraiment le choix de toute façon ?

L’auteur a 60 ans lorsqu’il commence à écrire ce roman. A l’instar de ses autres ouvrages (Où on va papa ?, Veuf…), ce livre rassemble une multitude de pensées du jour, de réflexions à peine germées, de constats tout justes digérés. Tantôt amusé, tantôt sarcastique, Jean-Louis Fournier parle de la vieillesse, de ce regard sur soi-même qui se métamorphose et du regard des autres qui change.

« Je regarde une vieille photo. J’étais pas mal, avant. J’avais une tête de voleur de poules, avec plein de cheveux noirs. Un jour que je m’ennuyais, j’ai voulu les compter, mais il y en avait trop. Aujourd’hui, il n’en reste qu’un. Mon dernier cheveu noir ».

pictobofAgréable à lire mais un plaisir en demi-teinte ; je ne suis jamais réellement parvenue à m’intéresser au propos. Manque de rythme et d’entrain

La chronique de Kikine.

Deuxième partie : Histoires pour distraire ma psy

Février 1999, Jean-Louis Fournier engage une thérapie auprès d’un psychanalyste : « J’ai, comme beaucoup, quand il paraît trop difficile de vivre, fréquenté les psy. Je me souviens d’une psychanalyste somnolente, dont le cabinet était sombre, qui m’a soigné plusieurs années. Elle m’écoutait avec une expression tellement sinistre que j’ai longtemps cru que je l’ennuyais et qu’elle allait s’endormir. Comme je pensais avoir épuisé mes malheurs, j’ai décidé, pour la réveiller, de lui raconter tout ce qui me passait par la tête, des idées de scénarios, de livres, de films… J’ai cru voir son regard éteint se rallumer, je crois même, une fois, l’avoir vue sourire. La thérapie a continué, mieux. Dans mes histoires inventées, je laissais traîner, à mon insu, des choses importantes qui ont dû lui servir pour mieux me connaître. Pour vous, j’ai transcrit ces histoires. Installez-vous sur un divan pour les lire. Mon plus grand souhait est que vous ne vous endormiez pas » (propos de l’auteur sur le site des Editions Anne Carrière).

pictobofpictobofDifficile pour moi d’entrer dans ce petit recueil. Des histoires sans queue ni tête avec quelques soupçons de vérité (éléments personnels) mais je ne vois pas l’intérêt de ces « témoignages ». d’une part, cela me questionne qu’un individu prenne l’habitude de se rendre à une consultation psy toute les semaines pour y raconter des histoires totalement saugrenues ; perte de temps pour le patient comme pour le thérapeute. D’autre part… que peut bien retenir le lecteur de ces inventions imaginaires. A survoler sans modération.

Sous les vents de Neptune

Vargas © J’ai Lu - 2008
Vargas © J’ai Lu – 2008

La vie suit son cours à la Brigade criminelle qu’Adamsberg continue à diriger avec sa nonchalance habituelle. Les enquêtes se bouclent ou piétinent, mais aucune ne nécessite la mobilisation de l’équipe au complète. Ce qui tombe relativement bien puisqu’une bonne partie des hommes du commissaire doit entreprendre un voyage au Québec en vue de suivre une formation ADN. Jusqu’au moment où une vieille affaire resurgit brutalement. Elle avait déjà mobilisé Adamsberg pendant quatorze ans mais, pour une raison évidente, il l’avait archivée depuis quatorze ans. Pourtant, il lui tenait à cœur de la résoudre pour des motifs personnels… le moment serait-il enfin venu de lever le mystère qui l’entoure ?

Sous les vents de Neptune. Sixième enquête de la série polar mettant en scène le commissaire Adamsberg ; sixième enquête si l’on compte Les Quatre Fleuves (bande dessinée) et le recueil de nouvelles intitulé Coule la Seine. Un ouvrage qu’il me tardait de découvrir enfin tant les derniers romans que Vargas a écrits dans cet univers (Dans les bois éternels publié en 2009 et L’Armée furieuse publié en 2011) y font référence à plusieurs reprises. Ce voyage au Québec en compagnie d’Adamsberg m’intéressait donc au plus haut point et découvrir ce roman a été à la hauteur de mes attentes. Une intrigue finement menée, des chemins de traverse inattendus nous prennent au dépourvu et mettent à mal le personnage principal ; l’occasion de découvrir cet homme sous un nouvel angle.

Fred Vargas réutilise pour l’occasion la vieille Clémentine que nous avions découverte dans Pars vite et reviens tard, une personnalité haute en couleurs qui s’avère être une précieuse alliée pour un Jean-Baptiste Adamsberg en déroute.

PictoOKEncore une fois, Fred Vargas nous enchante. Une lecture très prenante mais un petit bémol sur les dernières pages qui contiennent, à mon goût, un excès de bons sentiments.

Zouck

Bottero © Flammarion - 2004
Bottero © Flammarion – 2004

Anouck, que ses amis surnomment Zouck, est une lycéenne brillante. Scolarisée en Terminale, elle fait partie des meilleurs élèves de son établissement. Elle veille à obtenir de bons résultats, ils lui offrent une relative liberté à l’égard de ses parents. Cette liberté, elle l’utilise pour pouvoir se consacrer entièrement aux cours de danse de Bérénice. Sur le parquet de l’école de danse, Zouck vole, s’envole, s’oublie. Jusqu’au jour où un danseur renommé vient seconder sa prof de danse, le temps d’un cours. C’est tout à fait par hasard que Zouck surprend leur conversation. Les mots échangés à son propos font l’effet d’une décharge. Trop grosse ! Commence alors pour Zouck une période de tourments. Elle est obnubilée par l’idée de perdre du poids. Un mal que l’on nomme anorexie.

Une découverte que je dois encore à une amie qui me fait m’aventurer sur des expériences littéraires encore inexplorées. E-M Schmitt, J-L Fournier, Pierre Bottero… j’en passe et des meilleurs.

Me voici donc partie à la découverte des univers de Pierre Bottero, explorant en parallèle des œuvres fictivo-réalistes (comme Zouck) et La Quête d’Ewilan (et d’autres pistes que j’arpenterais le mois prochain).

Zouck, où les préoccupations d’une adolescente de 18 ans. A mille lieues de mes centres d’intérêt, d’autant plus que ce personnage se passionne pour la danse et que je n’ai jamais été attirée par ce genre de sensations corporelles. Pourtant, l’entrée dans ce roman se fait facilement. La jeune fille se présente sans trop de retenue à son lecteur. On parvient à se la représenter, on comprend ses motivations, elle ne s’attarde pas sur des détails futiles. La lecture est fluide. Suffisamment agréable pour avoir envie de tourner la page. On n’est pas pris dans les mailles du filet en revanche, mais l’idée d’abandonner la lecture ne m’a pas effleurée un instant.

Zouck brosse le portrait d’une jeune fille en apparence « équilibrée », investie dans sa scolarité, rencontrant quelques heurts avec ses parents mais rien qui ne soit dramatique, en conflit avec sa petite sœur mais là encore, rien de bien exceptionnel.

Pourtant, vers les deux-tiers du roman, le ton change. De légers grincements s’étaient fait sentir depuis quelques chapitres mais peu à peu, le scénario s’enfonce dans l’aliénation de son personnage. Peu à peu, on perçoit les ravages de l’anorexie, de ce rapport tronqué à la nourriture, de cette dictature du corps et de l’esprit qui embarque ses victimes dans des habitudes mortifères.

Le ton est juste sans glisser vers une quelconque forme de morale ou un quelconque discours didactique. Accentuant le fait que chaque situation est unique, que le « déclic » est toujours lié à l’intime, que l’on a tendance à banaliser les choses lorsque les premiers signes de la pathologie font leur apparition, qu’ensuite l’entourage proche est en émoi, paniqué face à cette perte de l’élan vital.

PictomouiUne lecture agréable qui pourrait être réflexive si j’étais parvenue à investir davantage le personnage. Un ouvrage à mettre dans les petites mains de ceux que l’on souhaite sensibiliser avec beaucoup de douceur à cette maladie. Pour le reste, le propos ne rentre pas suffisamment dans le cœur du sujet à mon goût.

Kililana song, seconde partie (Flao)

Flao © Futuropolis – 2013
Flao © Futuropolis – 2013

« Kililana, sur l’archipel de Lamu. Après le passage d’une grosse tempête, Hassan est une fois de plus, à la recherche de son turbulent petit frère Naïm. Il est très inquiet car il pense qu’il est parti en mer avec le capitaine Jahid, à la pêche… aux poissons, ou aux drogues dures ?! En fait, Naïm est bien dans la barque de Jahid mais avec Ali, qui la lui a volée. Et ils ont avec eux les ossements du vénérable Liogo Fumo, le dernier héros de leur peuple, qu’il fallait impérativement mettre à l’abri des pelleteuses et autres engins de terrassement. En effet, les promoteurs Blancs sont parvenus à leur fin et lancent la construction de leur complexe touristique de luxe, à l’endroit même où la dépouille de Liogo Humo reposait, sous l’arbre sacré, veillée depuis toujours par Ali et ses ancêtres. Un complexe hôtelier qui risque fort de passer au second plan maintenant que la reprise des chantiers pétroliers de l’Afrique de l’Est est rendue possible depuis que le Sud-Soudan a obtenu son indépendance. Le pipe-line traversera l’Éthiopie et le Kenya pour aboutir sur ses côtes, en un immense port en construction lui aussi. Le temps de l’insouciance est fini pour Naïm et les habitants de Kililana. Leur territoire convoité est devenu la proie des industriels, d’enjeux financiers et même d’Islamistes qui font fi de l’économie et du respect de la biodiversité locales » (extrait synopsis éditeur).

Si le récit s’attarde essentiellement sur le voyage initiatique du jeune Naïm, il s’intéresse à des sujets aussi variés que les superstitions et les lobbyings pétroliers, le terrorisme et les sentiments. Cela – semble-t-il – est toute la richesse du Kenya. Une richesse à double tranchant. L’auteur décrit le quotidien d’un petit village qui vit de la pêche. L’arrivée d’industriels occidentaux modifie l’écosystème et oblige les habitants à repenser leur mode de vie. Pour le moment, ces derniers sont impuissants face aux récentes implantations pétrolières et balnéaires qui appauvrissent davantage la population locale.

Les illustrations au pinceau de Benjamin Flao sont envoûtantes. Les couleurs nous saisissent et donnent à cet univers un caractère à la fois chaleureux et concret. Le décor est là, planté sur ces planches, il nous assaille et nous offre un réel dépaysement.

Tel un virtuose, Benjamin Flao brosse le portrait d’un pays à mi-chemin entre traditions et modernité. Le contraste est saisissant. Outre le voyage initiatique que vit Naïm, petit Tom Sawyer africain coincé sur une barque de fortune au beau milieu de la mer, à quelques lieues de l’archipel de Lamu, ce second opus revient sur la dérive d’un jeune toxicomane français qui – pour se procurer une dose – n’a d’autre choix que de s’en remettre aux mains du premier venu. Mais le propos ne s’arrête pas là et abordera d’autres maux (drogue, extrémisme) sans jamais tomber dans la caricature. Une très belle prise de position que réalise l’auteur en signant un diptyque de toute beauté.

PictoOKPictoOKL’auteur invite son lecteur au cœur d’un voyage captivant qui l’emmènera aux portes du réel. Une lecture que je vous conseille.

Une lecture que je partage avec Jérôme et Noukette.

La chronique d’OliV et ma chronique du tome 1.

Extrait :

« Si tu tends l’oreille et que tu ouvres un peu les yeux, tu verras que les apparences sont parfois trompeuses (…). Rares sont les gens qui parviennent à percevoir le monde invisible. La plupart des humains s’imaginent être les seuls sur cette terre à posséder intelligence et langage… Ils se trompent ! Sais-tu que les arbres parlent ? Ils le font cependant. Ils te parleront si tu les écoutes. La nature toute entière est aussi vivante que toi et moi » (Kililana song, seconde partie).

Kililana song

Seconde Partie

Diptyque terminé

Editeur : Futuropolis

Dessinateur /Scénariste : Benjamin FLAO

Dépôt légal : octobre 2013

ISBN : 978-2-7548-0857-6

Bulles bulles bulles…

La preview sur Digibidi.

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Kililana song, tome 2 – Flao © Futuropolis – 2013

Kililana song, première partie (Flao)

Kililana song, première partie
Flao © Futuropolis – 2012

Kenya, de nos jours.

Naïm, 11 ans, jeune orphelin élevé par sa tante Maïmounia.

« Refusant d’aller à l’école coranique car peu enclin à la discipline, il préfère l’école buissonnière, et malgré son frère Hassan qui le course régulièrement, il passe son temps à flâner, déambuler et traîner dans les faubourgs de la ville, vivant de petites magouilles. D’un naturel curieux, ouvert à la vie et aux autres, chaque moment de ses journées, chaque rencontres qu’il fait, lui donnent matière à réfléchir avec le bon sens qui le caractérise » (extrait du synopsis éditeur).

Ce livre est « le fruit de rencontres, d’histoires glanées, de choses vues, entendues ou vécues lors de promenades entre l’Erythrée et le nord-est du Kenya, et restituées ici sous forme d’une fiction » nous explique Benjamin Flao avant même que l’histoire de Naïm ne débute. Il ne fait nul doute que cette incitation au voyage sera immersive pour le lecteur. Ainsi, l’a souhaité l’auteur et, selon moi, cet objectif est atteint.

Par le biais de cette histoire, j’ai ressenti la chaleur d’un pays dans lequel je ne suis jamais allée. Grâce à ce jeune passeur de témoignages qu’est Naïm, nous explorons quelques facettes d’un pays et allons à la rencontre d’individus qui nous dévoilent leurs parcours de vie ; de l’enfant des rues au vieux pêcheur aguerri, de l’armateur peu scrupuleux à l’éplucheur de crevette… tous ces personnages nous embarquent dans un récit qui se situe à la croisée entre la réalité et les traditions. Le rythme est emporté, à l’image de son jeune héros qui dévale les rues à toute vitesse dans l’espoir de fuir son frère et son plan diabolique (de le scolariser à l’école coranique). Un conte urbain où se côtoient les générations dans distinction d’âge ou de milieux sociaux… excepté les Blancs en total décalage avec l’environnement et le rythme de vie kenyan. La présence de cet enfant comme acteur central permet à l’auteur de construire un scénario riche qui parle à la fois du passé, du présent et de l’avenir d’un pays à la fois écrasé par le poids d’un héritage colonial mais dont il tire des avantages financiers non négligeables (les étrangers représentent une source de profits pour l’économie nationale) ; des parents qui ont démissionné et se reposent dorénavant entièrement sur le système scolaire (seule Institution à même d’offrir un avenir et des débouchés à leurs enfants)…

Une société qui semble enkystée dans des problèmes de chômage, de drogue, de corruption et de conditions de vie précaire. Pourtant, la présence du jeune Naïm donne une impression de liberté et ouvre la portes à d’autres perspectives. Avec lui, c’est tout un système de relations basé sur l’entraide que l’on découvre, et cela va du simple savoir-faire au partage d’expérience dont Naïm est friand. La qualité d’écoute dont fait preuve Naïm et la pertinence de ses « pourquoi ? » conduisent ses interlocuteurs à se livrer, à se positionner et ce en toute confiance… cet enfant-là est avide de tout ce qui lui permettrait de comprendre le monde qui l’entoure.

Servi par un graphisme de toute beauté, ce récit nous fait voyager au-delà de nos propres frontières. On navigue au milieu de magnifiques aquarelles. La présence de longs passage muet a une réelle incidence sur le rythme de lecture. Ainsi, on se surprend régulièrement à profiter des paysages qui s’étalent en pleine page, on prend le temps de dévisager un fou ou d’un vieil homme perdu dans ses pensées… J’ai apprécié le rendu de certaines gestuelles, le choix d’un angle de vue, la mise en couleur… On ressent toute la poésie et la nostalgie que peuvent dégager certains personnages. Le trait de l’auteur est libre, à l’instar de son jeune héros.

Une lecture que je partage avec Mango et les lecteurs du mercredi

PictoOKEt vous, êtes-vous tenté pour faire l’école buissonnière ?

L’avis de Jérôme , celle de Seb (sur MaXoe) et celle d’Actualitte.

Extraits :

« On finit par s’habituer de se coltiner un frère aussi borné. Mais à la longue, c’est fatiguant… il a en tête de me dresser comme un petit animal parfaitement idiot. Évidemment, comme tous les adultes, il m’explique que c’est pour mon bien ! Et les coups de canne que je prends à la madras c’est sans doute pour mon bien aussi ?… Pourquoi les adultes croient toujours qu’ils peuvent faire gober aux enfants n’importe quelle salade ? D’accord, j’ai onze ans. Mais je ne suis pas débile. Je le sais bien moi pourquoi Hassan se donne autant de mal pour me ramener dans le droit chemin… il croit qu’il va gagner plus de points pour aller au paradis ! (…) Je ne sais pas à partir de combien de points on peut aller au paradis, mais ça m’a l’air de coûter cher ce truc-là ! » (Kililana song, première partie).

« Aujourd’hui, c’est le 1er décembre, les premiers jours du Kazkazi, Le vent du travail, avec lui arrivent les touristes et les grandes pêches. Chez nous, il y a ceux qui pêchent le poisson et d’autres qui pêchent le touriste. Moi, je ne pêche rien, je me cache pour pas que mon frère m’attrape » (Kililana song, première partie).

Kililana Song

Première Partie

Diptyque terminé

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur / Scénariste : Benjamin FLAO

Dépôt légal : mars 2012

ISBN : 978-2-7548-0375-5

Bulles bulles bulles…

Des illustrations que l’on peut découvrir sur le blog de Benjamin Flao.

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Kililana Song, tome 1 – Flao © Futuropolis – 2012

Immigrants (Dabitch & Collectif)

Immigrants
Dabitch – Collectif © Futuropolis – 2010

Autour de Christophe Dabitch se sont rassemblés 12 dessinateurs BD et 6 historiens (dont Gérard Noiriel). Ils ont rassemblés plusieurs témoignages de personnes venues en France pour des raisons politiques, médicales, familiales… Comment vivent-elles cette expérience ? Ont-elles rencontré des difficultés ? Si oui, lesquelles ? Quels liens ont-elles conservé avec leur pays natal ?

Le premier témoignage est celui d’une femme congolaise qui raconte les événements qui ont entraîné sa fuite, projet qui s’est imposé à elle. « C’est de la fiction ! C’est comme dans un film ! » dit-elle en se remémorant les violences qu’elle a subies, elle a encore du mal à croire ce qu’elle a vécu… nous aussi. Pourtant, les stigmates de son cauchemar sont bel et bien là, les cicatrices et les douleurs physiques aussi.

110 pages pour découvrir des parcours divers et constater la multiplicité des visages de l’immigrant. Certains de nos préjugés sont chahutés, les textes de Christophe Dabitch font mouche même si tous les témoignages n’ont pas la même qualité (le plus confus me semble être le récit de deux Kurdes, Günesh & Buket, mis en images par Diego Doña Solar… j’ai décroché). Les autres viennent d’Afrique, d’Amérique du Sud, d’Asie, d’Europe… ils ont été opprimés, menacés, ils sont commerçants ou politiciens… ils se racontent et décrivent le motif de leurs départs, leurs nouvelles vies et font le point sur ce que leur apporte ou leur refuse la France. On y parle d’accès à la culture, de lourdeurs administratives, de sentiment d’être déraciné, de racisme, de sécurité, d’accès aux soins…

Les récits sont intimistes et disposent chacun d’une ambiance graphique propre, certaines touches me sont familières (Simon Hureau, Étienne Le Roux…), d’autres totalement nouvelles (Kkrist Mirror, Christian Durieux…) et les dernières sont un mélange des deux comme les dessins de Sébastien Vassant mis en couleur alors que je ne l’avais lu qu’en noir et blanc. En intercalaires -tous les deux témoignages- des textes d’historiens reviennent sur l’évolution du phénomène de l’immigration à travers l’histoire. Ces six analyses zooment sur une spécificité du phénomène de l’immigration : femmes migrantes, communautés asiatiques…

Voici une BD engagée qui, sur la forme, n’est pas sans me rappeler En Chemin elle rencontre également réalisé par un collectif d’auteurs et dénonçant les violences faites aux femmes (nous en avons également parlé sur kbd en octobre dernier). En fin d’album, pour ceux qui seraient intéressés par ce type de publications, un rappel de l’importante (car nécessaire) participation de BD BOUM dans ce domaine de l’édition et son investissement auprès des collectifs de Paroles de…

Une lecture que j’inscris dans le cadre du Challenge Histoire de Jelydragon

PictoOKUn recueil très intéressant qui alterne témoignages et analyse d’historiens. Immigrants est le cri d’une réalité crue face à laquelle on préfère habituellement détourner le regard.

Je remercie les éditions Futuropolis pour cette découverte.

Extraits :

« J’ai perdu tout ce que j’avais. C’est pas un paradis ici, le paradis, c’est chez moi. quand je vivais là-bas, ce que je faisais. J’étais respectée, on m’appelait même maman dans mon quartier. J’ai perdu cette dignité et les gens savent ce qu’on m’a fait. J’ai perdu ma valeur, ça m’a détruite tout ça. Je veux ajouter une chose. Les gens vous regardent surtout quand vous avez demandé l’asile comme si vous étiez… je ne sais pas. Des choses » (Immigrants).

Immigrants

One Shot

Éditeur : Futuropolis

Dessinateurs : Christian Durieux, Benjamin Flao, Manuele Fior, Christophe Gaultier, Simon Hureau, Étienne Le Roux,

Kkrist Mirror, Jeff Pourquié, Diego Dona Solar, Troub’s, Sébastien Vassant

Couverture : Étienne DAVODEAU

Scénariste : Christophe DABITCH

Dépôt légal : novembre 2010

ISBN : 9782754804073

Bulles bulles bulles…

Difficile d’extraire un visuel de cet album tant les ambiances sont propres à chaque témoignage. Le blog de l’éditeur propose des extraits des trois premiers témoignages. Je vous laisse découvrir tout ça chez eux ! C’est ici !