Tsunami (Piatzszek & Pendanx)

Piatzszek – Pendanx © Futuropolis – 2013
Piatzszek – Pendanx © Futuropolis – 2013

Cela fait huit ans que Romain est sans nouvelles de sa sœur Elsa. Alors, puisqu’il n’a pas une situation professionnelle mirobolante, que cette attente interminable est un supplice pour la famille, Romain décide de partir à sa recherche. Son seul point de chute est Banda Aceh, une ville située au Nord de l’Indonésie. Aux dires du privé engagé par la famille pour enquêter sur la disparition, c’est le dernier endroit que sa sœur a fréquenté.

Elsa est arrivée en Indonésie peu de temps après le tsunami de décembre 2004 qui a dévasté l’île. Elle est médecin humanitaire et a été amenée à intervenir auprès des habitants de l’ile à ce titre. Pendant un temps, Elsa a continué à envoyer de longues lettres à Romain, de quinze ans son cadet. Mais un jour, les correspondances ont cessé. Cette dernière était médecin humanitaire. Elsa était Et puis un jour, les longues correspondances qu’elle adressait à Romain ont cessé. Et Depuis 8 ans, ce silence inquiétant de la jeune femme ronge la famille. Romain parviendra-t-il à la retrouver ? Réussira-t-il là même où la Police indonésienne et l’enquêteur privé embauché par la famille ont échoués ?

L’intrigue principale est ancrée en 2013. Elle plaque sur une quête personnelle les images d’une catastrophe naturelle que la télévision avait relayée en boucle.

Je voulais retrouver la ville telle qu’elle était. Quand ma sœur l’a vue pour la première fois.

Difficile de se représenter l’étendue des dégâts lorsqu’on ne s’est pas rendu sur place. Cependant, les auteurs ne proposent pas un état des lieux des travaux restant encore à engager. S’ils s’appuient sur les représentations que l’on pourrait encore se faire de la réalité actuelle en Indonésie, le discours est plutôt porteur d’optimisme ; il parle du traumatisme infligé par l’évènement mais montre aussi comment la vie a repris ses droits.

Si le lecteur découvre rapidement le but de la démarche du personnage principal, il devra attendre pour cerner la personnalité de ce dernier. En effet, les auteurs ont préféré nous convier à rencontrer les lieux avant de comprendre à qui nous avons à faire. Ainsi, le premier tiers de l’album est assez avare en dialogues. La voix-off du narrateur s’immisce timidement a milieu des magnifiques aquarelles de Jean-Denis Pendanx. Celles-ci mettent en parallèle passé et présent. Au rythme des déambulations du personnage dans les rues de Banda Aceh, l’illustrateur fait surgir des illustrations qui représentent l’Indonésie telle qu’elle était après la catastrophe : paysages de désolations, des rues jonchées d’une multitude de débris, des épaves de bateaux charriés par la vague et jonchant sur les toits des maisons… peu à peu, les sombres coloris du début de l’album vont laisser place à des teintes plus douces et plus lumineuses nous permettant de profiter pleinement de cette quête de vérité engagée par le narrateur. Une fois encore, Jean-Denis Pendanx (Svoboda !, Abdallahi, Jeronimus…) réalise des dessins sublimes plus proches cette fois de croquis de carnets de voyage. D’ailleurs, pour réaliser les planches de Tsunami, il s’est à la fois servi de ses propres carnets de croquis ainsi que des photos prises par Stéphane Piatzszek lors de ses voyages en Indonésie. Le résultat est une réelle invitation à découvrir ces terres lointaines.

Côté scénario, le travail de Stéphane Piatzszek (Fête des morts, Le temps de vivre…) est tout en subtilité. Ses dialogues s’effacent au moment opportun, s’appuyant parfaitement sur les illustrations et laissant planer quelques non-dits qui donnent du sens aux propos. Il maitrise parfaitement les silences, sait les interrompre sans brusquerie et dose naturellement les séquences où les personnages sont interactifs. Le ton narratif est juste, je n’ai pas perçu la moindre fausse note. Le personnage accepte même ouvertement lorsqu’on lui fait remarquer que sa démarche a quelque chose d’insensé. Car cela est vrai : au bout de huit années, ne court-il pas après une chimère ? Il le reconnait avec humilité et humour mais est prêt à en courir le risque. En milieu d’album, des éléments surnaturels viennent pimenter le récit mais ici encore, cela ne fait que renforcer la crédibilité de cette aventure. Questionnement personnel, remise en question, découverte de soi, processus de deuil, acceptation de l’absence d’un proche, Romain se confronte à tout cela et plus encore. Sur son chemin, il croisera des gens affectés par les accidents de la vie, comme la maladie (de celles pour qui le pronostic vital est engagé).

J’ai effectivement trouvé intéressant que ce personnage soit à fois très centré sur lui (cette démarche de retrouver sa sœur lui tient à cœur, sa quête pourra paraître égoïste pour certains lecteurs) mais il entend les choses et accepte d’en parler. Il se montre à l’écoute des remarques qui lui sont faites, y réfléchit :

« Tu crois pas que tu ferais mieux de te demander ce que ta sœur avait en tête avant de t’épuiser à la chercher ? »

Il sait également prêter une oreille bienveillante à ses interlocuteur et se montrer comme un ami fidèle.

PictoOKUn album assez prenant qui repose entièrement sur les épaules d’un personnage très touchant. Il se dégage de lui un fort capital sympathie qui nous permettra d’investir sa démarche et plus encore, de se saisir de quelques questionnements qui croiseront sa route.

Les chroniques de BD blog, Planete BD et cette présentation de Banda Aceh sur le blog « Un grand périple ».

Une lecture que je partage avec Mango pour les BD du mercredi. Découvrez les albums partagés aujourd’hui par les autres participants en cliquant sur ce logo :

Logo BD Mango Noir

Extrait :

« Un bateau attendait depuis 8 ans la prochaine vague pour se remettre à flots » (Tsunami).

Du côté des challenges :

Petit Bac 2013 /Météo : tsunami

Petit Bac 2013
Petit Bac 2013

Tsunami

One shot

Editeur : Futuropolis

Dessinateur : Jean-Denis PENDANX

Scénariste : Stéphane PIATZSZEK

Dépôt légal : novembre 2013

ISBN : 978-2-7548-0977-1

Bulles bulles bulles…

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Tsunami – Piatzszek – Pendanx © Futuropolis – 2013

Svoboda !, tome 2 (Kris & Pendanx)

Svoboda, tome 2 : Iekaterinbourg, été 1918
Kris – Pendanx © Futuropolis – 2012

Lorsque les faits historiques croisent la fiction et que Kris nous embarque au cœur de la Révolution Russe assouvir ses rêves de libertés.

Aux côtés de Pepa le dessinateur et de Jaroslav l’écrivain, nous partons en quête de liberté dont la finalité est la liberté et l’indépendance du peuple tchèque.

Petit retour sur ce qui s’était passé dans le premier tome : « 30 septembre 1938. Joseph Cerny, alias Pepa, a 38 ans lorsqu’il apprend à la radio que les accords de Munich ont été ratifiés. Pour cet ancien soldat tchèque qui a combattu sur le front russe en 1918, cette nouvelle affligeante fait vaciller ses idéaux et l’image qu’il avait de la France.

Il se retranche alors chez lui et reprend ses carnets de croquis et les textes écrits vingt ans plus tôt par son ami et compagnon d’armes Jaroslac Chveïk. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Prague en 1914 à la veille de la première guerre Mondiale. Après quelques mois sans nouvelles l’un de l’autre, ils se retrouvent en mai 1918. Leurs trains sont bloqués en gare de Tcheliabinsk, ils souhaitent trouver un moyen de rentrer chez eux… » (source : Chezmo). L’aventure est engagée et va les mener aux quatre coins de la Russie.

Svoboda ! aura nécessité deux ans de recherches historiques avant la publication du tome 1. Celles-ci se poursuivent à l’heure actuelle pour mener à terme cette série (prévue en 9 tomes) consacrée au parcours des Légions tchèques de 1918 à 1921. Kris consacre ainsi son récit au combat d’un peuple soucieux de retrouver sa liberté et son indépendance. L’auteur a dégagé 9 événements marquants de leur lutte ainsi, chaque tome s’arrêtera sur un épisode particulier de ce pan de l’Histoire. Je vous invite à écouter cette interview de Kris réalisée en août 2010 (source : Radio Praha, durée : 15’23’’).

Le tome 1, intitulé De Prague à Tcheliabinsk, se relatait l’événement fondateur du récit : l’incident de Tchieliabinsk qui marqua le début du périple des troupes tchèques. Après avoir été coincés en gare pendant près de 3 semaines, les troupes ont pu reprendre la route. Mais suite à des affrontements avec les troupes russes, une partie des soldats de la Légion tchèque sont faits prisonniers. Ils seront libérés quelques temps après, grâce au Général Tchetchek.

Le tome 2 débute ainsi sur la libération de Jaroslav (prisonnier des troupes russes) et a reformation du duo Pepa-Jaroslav. Le groupe semble être dans l’impasse, le rythme du récit doit se recréer jusqu’à ce que la solution éclate : engager une pour gagner leur indépendance ! Une révolution nait dans la Révolution russe, ajoutant davantage de confusion au chaos ambiant. Nous sommes en été 1918. Trotsky déclare ces tchèques hors-la-loi, ce qui le confortant dans leur désir de rentrer chez eux. On découvre ainsi leur fuite vers Vladivostok et leur évacuation par le Transsibérien.

Kris reprend les rênes de ce combat pour la liberté tout en parvenant à le canaliser. Il recourt ainsi à des passages plus lents, dont la longueur est variable, et qui installent les éléments narratifs. Les interactions entre les personnages ne sont pas laissées pour compte. On sent l’auteur à l’aise sur cette trame historique. Son aisance sur ce type de récit mi fictif mi historique n’est plus à prouver (il avait d’ailleurs réalisé avec brio une série en 4 tomes sur la Première Guerre Mondiale : Notre mère la guerre ; pour accéder à mes avis sur ces albums, je vous renvoie vers la Catégorie KRIS de ce blog). Je vous propose également de découvrir une biographie de l’auteur sur Brestenbulle.

Au niveau graphique, les illustrations de Jean-Denis Pendanx sont une nouvelle fois somptueuses. On se perd dans la contemplation des paysages, on profite de l’expressivité des personnages et de la fluidité qu’il offre à la lecture. Son travail est une nouvelle fois d’une grande qualité. Les couleurs d’Isabelle Merlet sont justes. On voyage au milieu d’ambiances fluctuantes, tantôt bleutées, tantôt verdâtres, tantôt dans des rouilles plus chaleureux et insufflant à la fois la fougue des troupes et leur foi inébranlable à l’égard du combat qu’ils sont en train de mener. Elles accompagnent parfaitement le rythme du récit.

PictoOKUne série que je poursuivrais avec plaisir, la seule frustration ressentie étant d’attendre avant de pouvoir découvrir le prochain épisode. Ce dernier devrait nous emmener en automne-hiver 1918 vers Arkhangelsk et l’échec capture de Trotski dans un contexte politique où les Alliés demandent aux Thèques de rester en Russie et ainsi s’assurer de tenir le front de l’Est contre les allemands et les austro-hongrois. A suivre donc… dans 1 an ?

Les chroniques : Ceux de 14 (site dédié à la Première Guerre Mondiale), Les Sentiers de l’Imaginaire, Planète BD, Bulles Picardes.

Extraits :

« Qu’est-ce donc qu’un pays ? Des montagnes, des prairies, des lacs et des villes où nous serions nés, au sein desquels nous aurions mangé, bu, baisé plus que n’importe où ailleurs ? Est-ce un père, une mère, une langue et un Dieu, des danses et des chants, des drapeaux et des titres de propriété, des défaites et des victoires, des barrières naturelles ou des barbelés aux frontières, le temps qu’il fait ou un mauvais caractère ? Ou est-ce juste une bande d’animaux ayant décidé de vivre ensemble coûte que coûte et de se chamailler dès que possible avec leurs voisins ? » (Svoboda, tome 2).

« Rien à foutre ! Je suis indépendantiste chez les impérialistes, internationaliste parmi les patriotes, fraternel avec les égoïstes, individualiste pour les collectivistes, baiseur chez les moralistes, cocu chez les abstentionnistes, plutôt modéré sur les bords et extrémistes au milieu de nulle part. Les cimetières me rendent joyeux et il n’y a qu’au bordel que je tombe amoureux » (Svoboda, tome 2).

Svoboda !

Tome 2 : Iekaterinbourg, été 1918

Série en cours

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Jean-Denis PENDANX

Scénariste : KRIS

Dépôt légal : juillet 2012

ISBN : 978-2-7548-0645-9

Bulles bulles bulles…

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Svoboda, tome 2 – Kris – Pendanx © Futuropolis – 2012

Le jour où… France Info 25 ans d’actualités (Collectif d’auteurs)

Le jour où... France Info 25 ans d'actualités
Collectif d’auteurs © Futuropolis & France Info – 2012

1987-2012.

Cet album retrace les faits majeurs qui ont marqués l’actualité durant cette période : la chute du mur de Berlin, l’attentat du 11.09.2001, la tempête de 1999, l’élection d’Obama…

Chaque chapitre est couvert par un auteur ou un duo d’auteurs, mettant ainsi en exergue toute la richesse, la technicité et la variété de la bande dessinée.

Le lien vers la fiche éditeur est inséré dans les références de l’album (en bas d’article).

Cela faisait très longtemps que je souhaitais lire la première version de cette collaboration entre France Info et Futuropolis.

Mitchul présentait ici cette édition, celle dont je vais vous parler est une version augmentée de 7 chapitres (couvrant les années 2008-2012).

Chaque sujet est abordé de manière très personnelle. Le cahier des charges adressé aux auteurs semble large. Certains sont scrupuleux quant au sujet et partagent points de vue et connaissances sur l’événement. D’autres détournent le sujet et abordent ce « buzz médiatique » indirectement ; certes, quelques anecdotes rapportées ici n’apportent rien au sujet mais ce cas de figure se présente ponctuellement.

De David B. à Davodeau, de Jean-Denis Pendanx à Igort, de Stassen à Sacco… imaginez la richesse de styles, de graphismes et de points de vue !!

Je n’aborderais pas le détail de chaque nouvelle et la manière dont les sujets sont traités. Deux récits ont cependant retenu mon attention :

  • Le travail de Pierre Christin & Guillaume Martinez (repéré récemment dans Motherfucker) : la narration très journalistique tout d’abord. Christin énumère les impacts de l’événement aux quatre coins de la planète, mettant ainsi en exergue la diversité des accueils consacrés à cette information allant ainsi de la plus farouche des paranoïas (des chrétiens fondamentalistes de l’Arkansas au « obsessionnels du chiffre 11) à l’indifférence totale dans les régions les plus reculées d’Afrique Noire ou dans les communautés ouvrières du sud de la Chine. Le dénouement tombe comme un couperet au terme de 8 pages. Le graphisme de Guillaume Martinez est sombre, réaliste, délicat bref… le ton est juste de bout en bout pour ce volet d’actualité.
  • Le travail d’Etienne Davodeau sur la tempête de décembre 1999. C’est beau, poétique et la narration joue parfaitement avec une ambiguïté très bien dosée entre premier et second degré. La métaphore est belle et la narration… tant de charme et d’ironie s’en dégage ! Voici comment cela commence :

J’ai toujours bien aimé le vent. Là où je vis, c’est le vent d’ouest qui règne en maître, familier mais changeant. L’hiver, cet idiot fait du zèle, distribuant ses averses sans avarice. Pour se faire pardonner, certains soirs, il nous invite au spectacle et nous offre un crépuscule sanguine et ardoise. On pardonne. Au printemps, bon ouvrier, il se fait brise guillerette. Toujours prêt à rendre service, il transporte sans barguigner pollens et giboulées

… je vous laisse découvrir la suite lors de la lecture… Pour illustrer cette ode au vent et contrecarrer la douceur de ses mots, les visuels de l’auteur se teintent d‘ocres, de bruns et de gris et mettent en scène l’élément quand il se déchaîne. Superbe.

PictoOKLes amateurs de BD reportages devraient apprécier tant la qualité des compositions que les propos qu’elles contiennent.

Les chroniques : Jérôme, Eric Guillaud, Madoka, Gwordia et Bulles en Champagne (site consacré au Festival éponyme).

Extrait :

« Perdre sa liberté, c’est perdre sa dignité. Le rapport avec toi-même ne t’appartient plus. Tu ne peux plus décider seule ce que tu ressens dans ton cœur. Tu essaies de vivre dans ta tête… dans tes pensées. C’est là la seule liberté que l’on ne peut jamais t’enlever. Jamais. Et tu en arrives même à haïr ton corps, car il est source de douleur, même si c’est la seule chose qui te fasse sentir en vie » (Le jour où… France Info 25 ans d’actualitésLa Libération d’Ingrid Bettancourt par Igort).

Le jour où… France Info 25 ans d’actualités

Anthologie

Éditeurs : Futuropolis & Editions Radio France

Collectif d’auteurs :

en plus des auteurs pointés par les Catégories de publication de mon article (voir au début de l’article, en dessous du titre de l’album), ont également collaboré à cet ouvrage :

Thierry MARTIN, BLUTCH, Jean-Claude DENIS, Jacques FERRANDEZ, Mathieu BLANCHIN, Christian PERRISSIN, Emmanuel MOYNOT, Jean-Pierre FILIU, Cyrille POMES, TIGNOUS, Miles HYMAN & JUL

Dépôt légal : juin 2012

ISBN : 978-2-7548-0822-4

Bulles bulles bulles…

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Le jour où… France Info 25 ans d’actualités – Collectif d’auteurs © Futuropolis – 2012

Svoboda !, tome 1 (Kris & Pendanx)

Svoboda !, tome 1
Kris – Pendanx © Futuropolis – 2011

30 septembre 1938. Joseph Cerny, alias Pepa, a 38 ans lorsqu’il apprend à la radio que les accords de Munich ont été ratifiés. Pour cet ancien soldat tchèque qui a combattu sur le front russe en 1918, cette nouvelle affligeante fait vaciller ses idéaux et l’image qu’il avait de la France.

Il se retranche alors chez lui et reprend ses carnets de croquis et les textes écrits vingt ans plus tôt par son ami et compagnon d’armes Jaroslac Chveïk. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Prague en 1914 à la veille de la première guerre Mondiale. Après quelques mois sans nouvelles l’un de l’autre, ils se retrouvent en mai 1918. Leurs trains sont bloqués en gare de Tcheliabinsk, ils souhaitent trouver un moyen de rentrer chez eux…

Svoboda ! est le fruit d’une collaboration que je n’aurais manqué pour rien au monde. Au scénario, Kris dont j’apprécie le travail, de l’autobiographique (Les ensembles contraires, Coupures irlandaises qui s’inspire en partie de son vécu) au récit historique (Un Homme est mort, Notre mère la guerre). Un auteur qui se diversifie peu, quoique, si l’on regarde bien, je trouve son registre d’une richesse sans pareil (chronique sociale, polar…) et j’apprécie son engagement, même lorsqu’il s’agit de s’essayer à l’adaptation de romans comme Un sac de billes paru en avril 2011 (il retrouve ainsi Vincent Bailly avec qui il avait collaboré pour Coupures irlandaises). Ces dernières années, il a progressivement délaissé les one-shot pour étoffer ses intrigues et fouiller ses personnages. En ce qui nous concerne, pour Svoboda !, nous partons a priori sur une aventure qui devrait compter 9 tomes au final (dès 2012, le rythme de publication sera semestriel…).

On aborde la Seconde Guerre mondiale via la lutte que les légionnaires tchèques ont mené pour défendre leur liberté (en slave, liberté se dit « Svoboda »). Kris crée pour l’occasion deux personnages fictifs pour servir ses desseins, deux hommes diamétralement opposés. Voici les mots de l’auteur à leur sujet :

J’ai toujours pensé que l’on fait entrer le lecteur dans la grande histoire par le truchement de la petite, que l’on perçoit bien mieux l’essence d’une aventure humaine à travers le destins de quelques-uns. Et que pour mieux la raconter, il faut aussi, paradoxalement, savoir s’en éloigner un minimum.  Dès le début, je me suis dit que l’interprète idéal de ce périple serait une sorte de Victor Hugo tchèque, un écrivain nationaliste et démocrate, qui aurait participé à cette anabase et nous raconterait ses souvenirs. Même si j’étais décidé à créer un personnage de fiction, en empruntant justement des traits biographiques de tel ou tel grand auteur répondant aux critères évoqués plus haut, j’ai un peu fouillé afin de savoir si ce personnage n’aurait pas réellement existé. Et je suis rapidement tombé sur Jaroslav Hasek, considéré comme l’un des pères fondateurs de la littérature tchèque, auteur du roman Le Brave Soldat Chveïk.

Ainsi, grâce à Hasek, je tenais mon personnage principal, que je vois comme un mix entre lui-même et Chveïk, son héros de roman (d’où son nom dans l’album : Jaroslav Chveïk). Romancier et pamphlétaire, anarchiste ne croyant en rien mais prêt à s’engager sur tout, juste pour « la beauté du geste », noceur invétéré et séducteur impénitent, adepte des bas-fonds et pourtant amoureux de la pureté. Ce dernier terme est important, car c’est ce qui va l’amener à nouer une amitié passionnée avec son exact contraire, un personnage totalement imaginaire lui : Josef Cerny dit « Pepa » (« le noir » en tchèque, un terme désignant en fait des personnes au teint plus ou moins « basané », souvent tout simplement d’origine juive).

Contrairement à Chveïk, dépassant déjà allègrement la trentaine en 1918-1920, Pepa a tout juste vingt ans. Juif slovaque, peintre-illustrateur et amoureux de la littérature, il voue une admiration sans borne à la culture française et par-dessus tout à sa Révolution. Démocrate convaincu, il s’engagera avec toute l’énergie de sa jeunesse dans la Légion tchèque. Admiratif des talents littéraires et du caractère de Chveïk, cela ne l’empêchera pas de haïr parfois son compagnon pour ses attitudes et paroles anarchistes. Ces deux-là seront comme le feu et la glace et s’accompagneront pour le meilleur et pour le pire, y compris jusque dans les bras d’une même femme : la comtesse Nora Kinsky » (extrait du dossier de presse Futuropolis).

Le scénario est agréable, son contenu est riche et dense. Une nouvelle fois, j’apprécie cette grande qualité d’écriture de Kris. Le rythme du récit est en partie assuré par des allées venues régulières entre passé et présent, les époques se répondant en écho. Ce premier tome jette les bases de l’épopée, le grief majeur serait que l’album met un temps fou à démarrer et que, lorsqu’il démarre, le tome se termine. Belle frustration pour le lecteur !

Au dessin, on retrouve Jean-Denis Pendanx. Le trait est un peu vieillot, les visages (trop) émaciés, personne ne se détache réellement si ce n’est les trois personnages qui occupent le devant de la scène : le duo d’amis et Nora, une jeune noble au caractère bien trempé. Les angles de vues donnent un sentiment de grands espaces, un bon rendu des perspectives. J’ai trouvé l’ambiance des scènes en intérieur plus étouffante, comme si les personnages étaient étriqués dans les décors. Certes, la majorité de ces scènes se passe dans des wagons : on est censé ressentir la chaleur étouffante de l’été russe, le confinement des hommes dans un espace réduit… concrètement, si j’ai perçu l’objectif du dessinateur, le rendu n’est pas concluant. Les dessins sont loin d’avoir la profondeur de ceux d’Abdallahi, j’avoue avoir eu des attentes (en terme de voyage visuel) à l’égard de cet album et être assez déçue. Accompagné par Isabelle Merlet qui s’occupe de la mise en couleurs, l’équipe graphique est alléchante pour un résultat qui, pour le moment, me laisse également sur ma faim (pour le moment… reste 8 tomes, ne l’oublions pas). Des tons sépia (ocre, rouille, sable) sont utilisés pour marquer la période de souvenirs (et le tumulte de la vie de garnison) et des tons plus tristes (bleu, gris, bruns) pour marquer le présent (et son ton intimiste) mais là aussi, pour avoir déjà eu l’occasion de lire des albums sur lesquels Isabelle Merlet a travaillé, je trouve le choix plutôt convenu.

PictomouiJe reste partagée sur ce ressenti de lecture. J’avais peut-être trop d’attentes à l’égard de cet album, cela me semblait justifié vu le trio d’auteurs qui l’anime. Pourtant, le temps consacré à la présentation du contexte historique et des personnages m’a semblé durer une éternité. Le pari d’accrocher un lectorat sur 9 tomes est, je trouve, fort ambitieux. Je ressors de cette lecture avec une certaine frustration : celle d’avoir beaucoup appris mais de n’avoir rien vu. Le rythme de l’album est celui d’un train de marchandises qui prend peu à peu son rythme de croisière et, quand ce dernier est atteint, la porte se referme d’un coup sec sous notre nez. Clac ! La suite au prochain numéro !

Plus d’informations sur cet échange très intéressant sur le forum de BDGest.

Extraits :

« Il suffit de voir un matin russe se lever pour espérer le grand soir. Et, la nuit venue, rêver d’un lendemain qui chante. A n’en pas douter, la chimère est un enfant de putain russe » (Svoboda !).

« Oui, je me souviendrais toute ma vie de ce jour, ce 30 septembre 1938 où, à des centaines de kilomètres de Prague, dans les immenses bureaux nazis de Munich, ma mère m’a trahi et menti. J’étais orphelin depuis un âge où l’on est trop jeune pour conserver ne serait-ce qu’une seule image parentale. Mais à seize ans, je m’étais fabriqué une mère. Elle s’appelait la France, celle de 1789 et de Voltaire. Celle de 1848 et de Victor Hugo. Celle des Soldats de l’An II et des Communards. Je ne l’avais jamais vue qu’en livres, qu’en rêves et qu’en discours, mais j’ai bu à son sein jusqu’à plus soif. Jusqu’à déborder d’amour et de citoyenneté entremêlés. Orphelin pour la seconde fois… C’est étrange comme on n’en meurt pas » (Svoboda !).

Svoboda ! – Carnet de guerre imaginaire d’un combattant de la Légion Tchèque

Tome 1 : De Prague à Tcheliabinsk

Série en cours (9 tomes prévus ?)

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Jean-Denis PENDANX

Scénariste : KRIS

Dépôt légal : juin 2011

ISBN : 9782754804257

Bulles bulles bulles…

Les 14 premières planches sur le blog de Futuropolis : c’est ici !

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Svoboda !, tome 1 – Kris – Pendanx © Futuropolis – 2011

Abdallahi (Dabitch & Pendanx)

Abdallahi, première partie
Dabitch – Pendanx © Futuropolis – 2006
Abdallahi, seconde partie
Dabitch – Pendanx © Futuropolis – 2006

Début du 19ème siècle.

René Caillié a exploré le continent africain et est le premier Blanc à être entré (et ressorti vivant) de Tombouctou.

Après plusieurs promesses de financement de l’Ambassade française non tenues, René Caillié part à l’aventure sans aucun soutien matériel. Il va se fondre dans un personnage qu’il a déjà créé de toutes pièces et investit : Abdallahi (« le serviteur de Dieu »). Un court séjour chez les indigènes lui a déjà permit de tisser des liens avec eux. Il se sent capable d’investir ce rôle sur du long court. N’écoutant que son courage et aveuglé par des ambitions démesurées, Abdallahi va s’enfoncer toujours plus loin dans les terres d’Afrique, mettant sa vie en jeu. Explorateur solitaire, René Caillié a parcouru en 18 mois 4500 km à pieds en se faisant passer pour un égyptien. Un voyage de deux ans, du Sénégal au Maroc… impressionnant.

Nous sommes accueillis par les propos des auteurs : « ce récit, inspiré de la vie de René Caillié et du journal de son incroyable voyage est ici romancé. Nous avons supposé quelques secrets et imaginé cette marche en sa compagnie »… puis c’est le départ dans les magnifiques visuels de Jean-Denis Pendanx faits d’ocre, de rouilles, de bleu marine. Les jeux de couleurs appliquées au pinceau sont de toute beauté. Ils favorisent le ressenti physique des souffrances et des émotions de Caillié tout au long de la lecture : odeurs et sons nous envahissent, jusqu’à la chaleur étouffante du Sahara.

Un récit intimiste et poignant. En voix-off, on imagine René Caillié qui lit lui-même ses carnets de voyage : « J’avais seize ans quand je suis venu en Afrique pour la première fois. Deux guides m’ont laissé presque mort d’épuisement sur une plage, vers Gorée. Ils marchaient et moi je courais pour rester à leur hauteur. Les deux nègres riaient. J’ai été malade, je suis reparti en France mais je suis revenu car mon rêve ne m’a pas quitté. Je vois toujours les grands blancs sur les cartes, les espaces qu’aucun explorateur n’a traversés. Je veux aller là où personne n’est jamais allé. Peu importe si personne n’y crois ».

Cette œuvre procède à un remaniement permanent de son personnage principal, en proie à des questions spirituelles qui n’ont pas été sans me rappeler le questionnement mis en avant par Renaud De Heyn dans son triptyque La Tentation. Il se retrouve face à une solitude extrême. Pourtant, son personnage est en permanence entouré mais qui souffre du mensonge qu’il a construit de toute pièce pour pouvoir être accepté et atteindre son objectif.  Sans appui, sans possibilité de bénéficier d’un quelconque secours sanitaire ou d’un espace de parole où il pourrait tomber le masque, Caillié se laisse progressivement envahir par la folie qu’il cache derrière une frénésie religieuse étonnante. Il se cache derrière le Coran pour masquer ses angoisses à plusieurs reprises. Comme si cela ne suffisait pas, les douleurs qu’il doit supporter le défigurent petit à petit et la mutation physique qu’il subit, la manière dont les auteurs la retranscrive tout au long de ce diptyque, est impressionnante. Son visage se transforme, de plus en plus tanné par le soleil, il s’émacie, ses dents tombent… à la fin du récit il ressemble à un vieux pèlerin, frêle, épuisé, mal alimenté, mettant sa quête en tête de la liste des besoins vitaux à satisfaire.

En bonus, une postface intéressante des auteurs qui proposent une biographie de Caillié ainsi que les différentes lectures qui ont été faites de son parcours.

PictoOKUne lecture prenante et dérangeante où le racisme et la foi sont omniprésents. Certains propos mettent mal à l’aise, comme ceux tenus sur l’esclavagisme. Je me suis sentie en partie responsable de ces agissements barbares même si ma génération n’a pas été partie prenante à de telles pratiques… Un voyage graphique magnifique et une trame narrative qui ressert méticuleusement ses liens sur sa proie : le lecteur ^^

L’avis d’Yvan sur CoinBD et celui de bdparadisio. La synthèse de kbd.

Extraits :

« L’idéal n’est pas de ce monde et si un jour tu le trouves, c’est que la mort sera proche de toi » (Abdallahi).

« La vieille négresse s’est occupée de moi comme un fils. Je ne sais pas pourquoi elle a fait ça. Elle ne m’a rien demandé. L’Afrique produit des saintes femmes qui aiment comme elles respirent » (Abdallahi).

« – Ils partiront vers l’Orient, peut-être jusqu’en Égypte, dans ton pays. Les plus belles femmes iront dans des harems, on coupera les couilles aux hommes qui iront surveiller ces harems. Les autres travailleront. Ils n’auront pas d’enfants. Et puis ils mourront et d’autres les remplaceront.
– Je sais.
– Non, tu ne sais pas ! Il faut avoir porté les chaines pour savoir, avoir vu sa femme porter les chaines, il faut avoir été fouetté, s’être laissé regardé les dents et les yeux, avoir été entassé dans des bateaux et avoir travaillé das des champs en se disant qu’on allait y mourir, pour savoir. La seule différence avec les Blancs est qu’ils nous coupaient pas les couilles.
– C’est fini chez les Blancs.
– Qui te dit que ça ne reviendra pas ? Regarde autour de toi ! Ça continue. On nous a habitué a être esclaves. C’est la volonté des chefs et de Dieu. On ne proteste plus, c’est comme ça. On sait ce que l’on vaut en sel, en tissus, en épices. On connaît notre poids exact » (Abdallahi).

Abdallahi

Diptyque

Éditeur : Futuropolis

Dessinateur : Jean-Denis PENDANX

Scénariste : Christophe DABITCH

Dépôt légal : février 2006 (tome 1) et novembre 2006 (tome 2)

ISBN (Intégrale) : 9782754804080

Bulles bulles bulles…

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Abdallahi, première et seconde parties – Dabitch – Pendanx © Futuropolis – 2006